Angela Merkel, sauveuse d’une Europe fragilisée par la crise du coronavirus ? Depuis que la chancelière allemande s’est ralliée devant le Bundestag, le 13 mai, à l’idée française d’une mutualisation partielle des dettes publiques nationales de reconstruction, elle est en passe de rejoindre dans le panthéon européen son prédécesseur et mentor, Helmut Kohl, l’un des pères de l’euro.

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Pour y gagner définitivement sa place, elle doit convaincre quelques pays «radins», qu’elle soutenait jusque-là en sous-main, d’accepter que l’UE non seulement s’endette sur les marchés financiers pour aider les pays les plus touchés par la récession sans précédent qui va submerger l’Union, mais que le remboursement soit à la charge du budget communautaire.

Elle entend bien utiliser les leviers que lui donne la présidence semestrielle du Conseil de l’UE qui revient à l’Allemagne à partir de ce mercredi pour inscrire son nom dans l’histoire avant qu’elle ne quitte la chancellerie, en octobre 2021. Jusqu’à présent, Merkel n’a pas été une grande Européenne. En quinze ans de pouvoir, cette chrétienne-démocrate qui a grandi en ex-RDA n’a joué européen qu’à condition que cela ne nuise pas aux intérêts allemands. «Mais elle a toujours basculé au final du bon côté, souvent très loin de ses bases de départ», souligne-t-on à Paris.

Cadavre

Avec la crise du coronavirus, elle tient une occasion de marquer de son empreinte la construction communautaire. Lors de la crise de la zone euro, entre 2010 et 2012, elle avait proclamé qu’il faudrait passer sur son cadavre pour créer des obligations européennes («eurobonds»). Avec son pragmatisme habituel, elle a changé d’avis lorsqu’elle a pris conscience que sans solidarité financière avec les pays les plus touchés par la récession, les divergences économiques entre les pays du Nord et du Sud deviendraient intenables et mettraient en péril le marché intérieur et l’euro, sources de la richesse allemande.

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Surtout, un éclatement de l’UE serait mis au passif de l’Allemagne qui se retrouverait, comme avant 1945, avec de solides ennemis à ses portes. Autrement dit, les intérêts européen et allemand coïncident, comme elle l’a reconnu la semaine dernière : en acceptant de mutualiser la dette, «nous agissons aussi dans notre propre intérêt. Il est dans l’intérêt de l’Allemagne que nous ayons un marché unique fort, que l’Union devienne de plus en plus unie et qu’elle ne s’effondre pas. Ce qui est bon pour l’Europe était et demeure bon pour nous. […] L’état de l’économie européenne est décisif à tant d’égards : un taux de chômage très élevé dans un pays peut y avoir un impact politique explosif. Les menaces contre la démocratie seraient alors plus grandes. Pour que l’Europe survive, son économie doit aussi survivre». De ce point de vue, Merkel reste constante, ce qui relativise sa «conversion» européenne.

Isolés

Elle n’en est pas moins déterminée à ce que les Vingt-Sept adoptent dès le sommet des 17 et 18 juillet, le fonds de relance de 750 milliards d’euros proposé par la Commission. La seule opposition est celle du «club des radins» (Autriche, Danemark, Finlande, Pays-Bas, Suède) qui rechigne à l’accepter dans sa forme actuelle : pour lui, la Commission peut certes être autorisée à emprunter, ce qui est déjà une concession, mais seulement pour reprêter les sommes recueillies aux Etats qui en ont besoin.

Une solidarité très partielle, puisque chaque pays restera comptable du remboursement, ce qui accroitra chaque dette nationale. Jusque-là soutenus en sous-main par Berlin, ces cinq pays sont désormais isolés. Et Merkel n’a pas l’intention de compromettre sa place dans l’histoire à cause de quelques radins.Jean Quatremer correspondant à Bruxelles pour Libération