Pierrot Bonzom
Bouvier : pas un métier, une passion
L'article et photo sont parus sur la Gazette du Comminges de la semaine du 7 au 14 novembre 2018

Lorsque j’ai téléphoné au hameau de Pioulet à Betchat pour prendre rendez-vous avec Pierrot Bonzom pour parler de son métier de bouvier, sa femme m’a tout de suite précisé « ce n’est pas un métier, c’est une passion ! ».
Passion confirmée en rencontrant cet ariégeois à la moustache bien fournie, qui avait étalé sur la table du salon les nombreuses photos de ses bœufs. Les premiers: des Casta, Sultan et Suro, ensuite les Suisses, Lascou et Laouré et les petits derniers Nougè (le noyer) et Nudech (le nœud).
Une passion qui l’a conduit en ce 2 février 2018 à se retrouver dans des situations rocambolesques et périlleuses à la fiesta de los Arrieros (la fête des muletiers) à Balsareny en Catalogne.
Une passion qui le ramène chaque année, et ce depuis 26 ans, jusqu’à Saint-Girons pour participer à la grande aventure ariegeoise d’ « Autrefois le Couserans » le 1er week-end d’août.
Mais revenons en arrière :
Pourquoi les bœufs ?: « Les bœufs c’est une passion que j’ai depuis tout petit. Mon père, dans la ferme, avait des vaches de trait. On n’avait pas la propriété assez grande pour pouvoir faire travailler à la fois des bœufs et des vaches. Il me disait « des bœufs ça ne sert à rien ! Les vaches ça donne du lait, un veau par an et elles travaillent pareils que les bœufs. »
Et donc je prenais mon mal en patience et je me contentais de regarder les bœufs du voisin. Le voisin c’était mon idole, je le badais cet homme. Il avait deux paires de bœufs magnifiques, des gascons (blanches avec le cou gris). J’étais un gosse. Il me prenait avec lui quand il les dressait.
C’était un homme fort, et à cette époque-là à la campagne, pour soulager les reins toujours soumis à des travaux de force, les hommes portaient des ceintures en flanelle dans lesquelles ils s’enveloppaient de plusieurs tours de tissu. Et donc le voisin, dès qu’il faisait chaud, il transpirait beaucoup et deux à trois fois par jour il devait se changer. Il rentrait dans la maison et il m’appelait : « Pierrot viens t’en ici, surveille mes bœufs. » Et moi j’étais fier comme Artaban. Au milieu de la cour je gardais les bœufs.
Toute ma vie ça m’a trotté d’avoir une paire de bœufs. Et puis vers les 50 ans, avec ma fille Sandrine et son mari Jean Christophe, on a racheté des vaches Casta pour essayer de relancer la race, car c’est une race qui était en train de s’éteindre. Et les premiers veaux qui sont nés, c’était des mâles et du coup je les ai gardés. Et à 55 ans j’ai réalisé mon rêve : avoir une paire de bœufs. Je ne m’en sers pas trop pour travailler, mais surtout pour les animations. Ils savent tout faire, ils savent reculer, labourer. Ce sont des bœufs obéissants, il ne faut pas qu’ils prennent peur du bruit, de la musique ou du monde. Il faut des bêtes au top pour pouvoir les amener à des animations comme « Autrefois le Couserans ». Cette année les jeunes bœufs y étaient avec mes petits-enfants. »
Les naufragés de Balsareny :
« On nous appelle comme ça car Balsareny ça a été une épopée. C’est la fête des muletiers qui se déroule en février en Catalogne. D’habitude on y va en spectateurs mais là les catalans voulaient des attelages et on y est allé avec l’association Autrefois le Couserans. On amenait 6 gros bœufs et une paire de castas noires.
Depuis Saint-Girons on passe par le col de Puymaurens et Puycerda à la frontière franco-espagnole. Seulement arrivés là, il s’était mis à neiger et on ne pouvait plus avancer avec les camions et les bêtes à l’intérieur. Heureusement le vétérinaire de Puycerda est venu à notre secours, il nous a trouvé de quoi nous héberger et une ferme pour les bêtes. On a pu aller jusqu’à Balsareny, mais au moment de repartir il s’était remis à neiger. Ceux qui nous avaient accompagnés en car, une soixantaine de personnes, avaient pu repartir mais nous, entre le temps de tout ranger après le défilé et de charger les bêtes on s’est retrouvé bloqués. Le camion ne pouvait pas monter. Le vétérinaire de Puycerda nous a trouvé des chaines spéciales à Barcelone. Il nous a sauvé la vie ! Car on était dans un drôle de pétrin. Mais on ne pouvait pas rouler même avec les chaines. A moment donné il y a eu une éclaircie avec du soleil et le vétérinaire nous a dit « il faut y aller ». On est allé chercher les bœufs à la ferme, et on est parti, mais en rentrant il a fallu remettre les chaines jusqu’au tunnel de Puymaurens.
Entre temps ceux qui étaient rentrés en car étaient venus à notre rencontre et nous avaient dit que du côté français il ne neigeait plus. On a donc sorti les chaines avant le tunnel.
Mais une fois arrivés de l’autre côté, il neigeait à « coup de pelles » et même le camion on ne pouvait pas le faire rester tranquille le temps de remettre les chaines, il glissait tout seul sur la neige, avec les bœufs à l’intérieur, près de huit tonnes d’animaux… Ensuite il a fallu garder les chaines jusqu’à Ax les Thermes et on est arrivé à la maison vers 2 heures du matin. C’est pour ça que depuis on nous appelle « les naufragés de Balsareny... »
Autrefois le Couserans :
Ça a commencé avec Claude Baquie de Saint Lizier. Il a installé en premier la transhumance et il voulait un grand défilé d’attelages à Saint Girons. Mais au premier défilé, il y a 26 ans, il y avait 2 paires de vaches, nous, avec les ânes et peut-être 50 personnes sur les trottoirs… On n’aurait jamais cru que ça se développerait comme ça. Tous les ans ça s’est agrandi. Aujourd’hui c’est entre 20 et 25 000 personnes qui se déplacent le 1er week-end d’août. Il y a 800 bénévoles et autant d’animaux. »
Âgé aujourd’hui de 71 ans, Pierrot Bonzom n’a pas l’intention d’arrêter en si bon chemin. Et ses journées sont toujours bien remplies : « j’ai toujours été agriculteur jusqu’à l’âge de la retraite. Maintenant c’est ma fille Sandrine qui a repris la propriété. Mais il y a toujours beaucoup de demandes pour amener les bœufs dans des manifestations, ou pour connaitre le métier. Hier deux professeurs d’un lycée de Clermont Ferrand sont venus se renseigner sur les ânes. J’ai passé tout l’après-midi avec eux ! »