La lettre de l’impact positif s’intéresse cette semaine à une initiative de la ville de Morières-lès-Avignon. Dans le cadre de la redéfinition de sa politique jeunesse, la collectivité a décidé de proposer aux jeunes qui le souhaitent de s’engager sur les deux mois d’été (juillet-août) dans un projet de coopérative éphémère. Accompagnés par deux animateurs, ceux-ci créent ensemble une entreprise afin d’aller chercher sur le territoire des tâches à effectuer et pour lesquelles ils sont rémunérés. En plus de dégager un petit salaire, les participants sont sensibilisés à tous les enjeux du monde économique.
Retrouvez l’interview de Vincent Rey, directeur général des services, à Morières-lès-Avignon.
Une personne de mon équipe a pu voir un reportage à la télévision. Il parlait d’un projet similaire d’une association. Je me suis donc demandé comment nous pourrions le transposer dans une collectivité territoriale. L’initiative venait du Quebec. De notre côté, nous avions un centre d’accueil pour les adolescents. Pour des raisons de fréquentations, nous avions décidé de l’arrêter en juin dernier. Il fallait donc recréer un projet de toutes pièces à destination des adolescents et des jeunes adultes. Nous nous sommes donc orientés vers cette idée de coopérative jeunesse.
À quelle problématique très concrète de votre territoire cette initiative répondait ?
La problématique est la suivante. Quand nous organisons des forums emplois, nous voyons bien qu’il y a de nombreux mineurs qui recherchent des jobs d’été. Avec la réglementation actuelle, ils n’ont plus vraiment la possibilité de le faire. Il y a trop de réglementations pour les entreprises pour pouvoir recruter des mineurs. Nous voulions donc leur proposer de créer cette entreprise éphémère et de leur permettre d’avoir une première expérience professionnelle. C’est également la possibilité de gagner un peu d’argent.
C’est un double enjeu…
Nous pouvons même dire un triple enjeu. Car il y a aussi la volonté de récupérer des décrocheurs et de les emmener à se projeter vers des formations ou l’emploi. Ce projet permet vraiment de les aider à avoir confiance en eux. Il ne faut pas qu’ils se considèrent comme sans avenir. Sur les onze jeunes ayant participé, il y avait quatre décrocheurs scolaires. C’était vraiment intéressant d’avoir des jeunes d’horizons divers. En les mixant, ils peuvent prendre ce qu’il y a de bon dans chacun. Il y a eu une très belle dynamique de groupe. Les quatre décrocheurs ont d’ailleurs repris une activité. C’est une véritable satisfaction.
Quelles ont été les différentes étapes de mise en place ?
La première étape a été de mettre en place un comité de pilotage avec des professionnels de la jeunesse et des partenaires financiers de la commune. Il a fallu trouver une coopérative d’activité qui pouvait également porter juridiquement et administrativement le projet. En effet, les collectivités territoriales ne peuvent pas le faire car elles n’ont pas la possibilité juridiquement de créer une société éphémère.
Quel a été votre choix ?
C’est une coopérative d’activité qui s’appelle Coopérative d’initiatives jeunes. Elle est basée à Forcalquier. Ils se basent sur leurs statuts juridiques pour créer notre coopérative éphémère. Cela permet aux jeunes d’avoir un contrat Cap et d’entrer dans un système réglementé. C’est sécurisant pour eux.
Quels étaient les autres partenaires ?
Il y avait la direction départementale de la cohésion sociale du Vaucluse, la CAF, la ligue de l’enseignement et des missions locales venant de tout le département. Ensuite, il y a eu un parrain économique qui était un chef d’entreprise. C’est l’entreprise orient’action. Elle a accompagné les jeunes dans tous les aspects liés à l’économie. Le rôle du parrain jeunesse a été joué par la ligue de l’enseignement. Elle a permis aux animateurs de gérer toutes les questions liées à l’éducation, la dynamique de groupe et l’animation. Enfin, il y avait la MSA et la communauté d’agglomération. La première édition a eu lieu en 2019 et le projet vient d’être reconduit pour l’année prochaine. Nous avons également été sollicités pour expliquer notre projet à d’autres collectivités publiques afin que le projet puisse se développer un peu partout dans le département.
– Le projet aujourd’hui –
Comment l’initiative fonctionne-t-elle au quotidien ?
C’est un groupe de quinze jeunes maximum encadrés par deux animateurs. L’un ayant un profil économique. L’autre, un profil plutôt jeunesse. Les jeunes viennent sur une durée fixée par le conseil d’administration. C’est entre 24 et 35h par semaine. Le principe, c’est que les jeunes s’organisent avec des comités. Il y en a un par thème : Finance, Communication, RH… Ils élisent un président qui sera le représentant du conseil d’administration et de la coopérative. Ils vont ensuite s’organiser pour trouver des missions, les réaliser et assurer l’aspect administratif puis financier. Ils créent aussi toutes les plaquettes de communication afin de réaliser leur propre démarchage. Ils gèrent l’entreprise de A à Z. Soit de la constitution à la clôture.
Et l’idée est d’aller chercher des petites missions ?
Oui. Cela permet de les sensibiliser à la gestion d’une entreprise car ils se retrouvent avec les mêmes enjeux. Cela leur permet également de se poser des questions inhabituelles. Comment répartir le bénéfice ? Qu’est-ce qu’une charge ? Comment faire un devis ou une facture ? Quel tarif pouvons-nous fixer ? Nous essayons de les ouvrir au monde qui les entoure. Quand vous prenez l’aspect de la répartition de la valeur créée, cela va plus loin que les questions économiques. Pour cette édition, ils ont réalisé un chiffre d’affaires de près de 2000 euros. Divisé par onze, ils ne sont pas repartis avec grand chose pour deux mois de travail. Mais derrière ils voient bien qu’être chef d’entreprise, cela demande beaucoup d’investissement. C’est extrêmement gratifiant car les retours de la population étaient très positifs. Ils ont toujours été très bien accueillis. Ils ont travaillé aussi bien pour des particuliers que pour la collectivité.
Quelles étaient les missions ?
Ils ont noué des contacts avec l’ensemble des acteurs. Par exemple, il y a un gros Décathlon sur notre territoire. Ils ont vu avec eux pour se positionner sur le parking afin de réaliser des missions de lavage de voiture. Ils sont donc sortis de la collectivité pour aller chercher dans l’environnement économique des missions. Si on fait le bilan sur les missions, ils ont pu faire du lavage de voitures, du débroussaillage de jardins, un déménagement, du gardiennage d’animaux et des cours de mathématiques à un jeune en position de handicap. C’est très varié ! Ils ont aussi distribué des prospectus comme le magazine de la mairie. Nous avons en revanche été très vigilants sur le fait que ce soient des missions qui n’entrent pas en concurrence avec les entreprises locales. L’idée n’est pas de prendre le travail de quelqu’un d’autre. Ce sont des missions qu’à une époque où nous étions jeunes, il était possible de faire plus facilement.
Comment avez-vous trouvé les jeunes ?
Lors du forum de l’emploi que nous avons mené à Morières, nous avons croisé de nombreux jeunes mineurs qui cherchaient un job d’été. Nous en avons profité pour les sensibiliser sur le projet. Il a tout de suite été apprécié. Par la suite, nous avons misé sur les réseaux sociaux et la mission locale. Pour vous donner une idée du timing. Nous avons eu l’idée en septembre de l’année dernière. La décision de foncer sur ce projet a été prise en octobre ou novembre. Puis nous avons mis en place le dispositif en début d’année 2019. Les comités de pilotage ont eu lieu et nous avons pu recruter les animateurs dans la foulée au mois de mars. Nous avons commencé celui des jeunes en avril-mai. La coopérative éphémère s’est déroulée sur deux mois en juillet et août. Nous pensons que c’est une initiative qui peut se dupliquer facilement. Le fait d’être lauréat des prix Territoria vient confirmer notre idée.
Quels retours avez-vous eus des acteurs du territoire ?
Les entreprises ont été impressionnées, notamment par l’engagement des jeunes dans les différentes missions. C’est vrai que l’on a souvent l’image des jeunes devant son smartphone. Là, c’était très différent ! Parfois, ils passaient quatre heures à débroussailler un jardin et ils avaient le sourire à la fin… Forcément cela change le regard sur les jeunes. De leur côté, ils ont été très contents de leur expérience. Il a fallu qu’ils apprennent à se connaître entre eux, vivre ensemble et gérer les conflits internes. Mais au final, nous avons remarqué que les onze jeunes du départ n’étaient plus du tout les mêmes que ceux présents à l’arrivée. Ils ont gagné en maturité et en assurance. Ils étaient extrêmement satisfaits de cette expérience et la recommandent aux autres jeunes pour les années à venir.
– Dupliquer le projet –
Combien cette initiative a-t-elle coûté au territoire ?
Nous n’avons eu au départ aucune subvention. Je pense que le coût net de l’initiative est de 26 000 euros pour cette année. Il correspond à toute notre participation à la coopérative qui nous accompagne (pour le portage juridique et administratif) et le financement des animateurs. Nous avons bénéficié il y a quelques jours d’une aide par la CAF, 5000 euros, et DDCS, 5000 euros. Nous espérons pouvoir valoriser l’impact que nous avons eu pour obtenir quelques subventions de plus l’année prochaine. C’est plus facile maintenant que le projet a été lancé et qu’il a fonctionné. Ceci dit, ramené à deux mois d’activité, par enfant et par semaine, le coût est très modeste. Ce n’est pas quatre semaines de centre aéré au milieu de l’été. C’est deux mois pleins avec des enfants qui sont venus tous les jours. C’est donc très raisonnable.
Quel a été l’impact mesuré ?
Nous sommes un peu à contre-courant. D’habitude, il est vrai que nous cherchons la quantité. Là c’était plus la qualité. On nous a régulièrement dits que nous touchions qu’une quinzaine de jeunes. C’est vrai mais lors du bilan tous nos partenaires ont souligné l’efficacité du dispositif. Nous souhaitons donc vraiment pouvoir continuer cette initiative. Il faut bien souligner que ce projet a été lancé sur d’autres territoires sans forcément aboutir. C’est donc une fierté. Nous avons réussi à toucher les enfants mais aussi à faire bouger le territoire. Par exemple, un des animateurs a été recruté suite à la coopérative par un de nos partenaires. Les jeunes vont également pouvoir valoriser cette initiative sur leur CV.
Ils repartent également avec un réseau…
Exactement. Nous remarquons quand dans les premières années, ce sont souvent les parents qui font office de cabinet de recrutement et de recherche d’emploi. Là, ils ont pratiqué et pu rencontrer du monde sur le territoire. C’est dans notre logique d’accompagnement et d’aide à l’émancipation de la jeunesse. C’est un peu caricatural, mais je pense que nous avons généré de la citoyenneté dans leur pratique. Au moment de la cérémonie de clôture, les parents sont venus voir le travail de leurs enfants. La réaction des parents a été la même : « Nous ne reconnaissons plus notre enfant. Il a mûri, changé et grandi ! ». C’est un véritable impact.
Quelles ont été les difficultés rencontrées lors de cette initiative ?
Comme dans chaque initiative innovante, la principale difficulté a été de convaincre. Principalement les partenaires ou même certains élus. Il a fallu parfois passer un peu en force pour imposer l’idée. Mais je crois que maintenant elle est majoritairement bien acceptée. Il y a eu une émancipation générale. L’une des difficultés a été aussi de devoir passer par les structures jeunesses pour trouver les jeunes. C’est assez curieux mais nous avons eu de nombreux retours sur le fait que nous avions une méconnaissance des jeunes et que ceux-ci ne tiendraient jamais deux mois à travailler. Il n’a pas été facile de les convaincre et nous avons notamment dû passer par les réseaux sociaux pour trouver les jeunes qui avaient envie de s’investir sur l’entreprise.
Quels conseils pouvez-vous donner à des élus qui souhaitent lancer un projet similaire ?
Ils peuvent nous appeler avec plaisir ! C’est aussi pour cela que nous avons participé aux prix Territoria. Nous voulons changer la vision que les gens peuvent avoir de l’action en faveur des jeunes et du social. Ce n’est pas qu’un coût. C’est aussi un investissement pour la suite ! Les collectivités publiques ne disent pas assez ce qu’elles font de bien. C’est important car ce qui n’est pas valorisé n’existe pas. Il se passe énormément de choses positives et il faut le dire.