« Ce traité est une énorme victoire pour la protection des océans, et montre que le multilatéralisme a toujours sa place dans un monde de plus en plus divisé. » Cette réaction de Greenpeace, et plus largement celles des ONG environnementales, montre le pas très important franchi dans la nuit du samedi 4 mars au dimanche 5 mars au siège des Nations unies, à New York.
La cinquième session de négociations internationales en vue de l'élaboration d'un traité international sur la conservation et l'utilisation durable de la diversité biologique marine des zones situées au-delà de la juridiction nationale (BBNJ) s'est en effet conclue par un accord, après de nombreuses années de négociations. Les représentants des États sont tombés d'accord sur les principaux points d'achoppement. Ceux-ci portaient sur le partage des avantages issus des ressources génétiques marines ; les outils de gestion par zones, dont la création d'aires marines protégées ; les évaluations d'impact sur l'environnement ; et le transfert des technologies marines.
Protéger 30 % des océans de la planète
« La haute mer (…) est le plus grand habitat sur Terre et abrite des millions d'espèces. Avec actuellement un peu plus de 1 % de la haute mer protégée, le nouveau traité ouvrira la voie à la création d'aires marines protégées dans ces eaux », se félicite la High Seas Alliance, une coalition de plus d'une quarantaine d'ONG. « La section du traité relative aux aires marines protégées met fin à la prise de décision par consensus, qui a prouvé ses limites dans la protection des océans par le biais des organismes régionaux existants (…). Si le texte comporte encore des problèmes majeurs, il s'agit d'un traité viable qui constitue un point de départ pour la protection de 30 % des océans de la planète », se réjouit également Greenpeace. L'adoption de ce texte doit en effet permettre de mettre en œuvre cet objectif de protection contenu dans l'Accord de Kunming-Montréal obtenu lors de la COP 15 Biodiversité, en décembre dernier.
« La question du financement suffisant pour financer la mise en œuvre du traité, ainsi que les questions d'équité entourant le partage des avantages des ressources génétiques marines ont été l'un des principaux points de friction entre le Nord et le Sud tout au long de la réunion », confirme la High Seas Coalition, qui se félicite qu'un accord ait pu être trouvé sur un partage équitable. La protection des océans est essentielle pour l'environnement, mais également pour les communautés humaines qui en dépendent, soulignent les ONG. « Le système de gestion actuel est profondément inégal et injuste, et permet à une poignée de nations d'exploiter les ressources océaniques en haute mer sans partager une grande partie des bénéfices avec les communautés côtières voisines », témoigne à cet égard Greenpeace.
Pièce du puzzle
Le texte objet du compromis n'est toutefois pas exempt de toutes critiques. Il ne s'agit en effet que d'une pièce du puzzle et d'autres outils sont nécessaires pour assurer la protection des océans. « Le combat ne s'arrête pas pour autant ; nous savons que nous devons continuer à défendre les océans face aux convoitises des industries et des États, alerte François Chartier, chargé de campagne Océans pour Greenpeace France. Trop de place est encore laissée à des activités aussi destructrices que l'exploitation minière en haute mer, dont les impacts dépasseraient largement les limites des zones minières. »
Ce dernier estime qu'une interdiction ou un moratoire sur l'exploitation minière en eaux profondes est indispensable au traité mondial sur les océans. Un sujet également d'actualité puisque l'Autorité internationale des fonds marins (AIFM) doit se réunir de nouveau d'ici quelques jours pour examiner une règlementation des activités minières.
Mais, surtout, le traité est encore loin de produire ses effets juridiques. Le texte doit encore faire l'objet d'une révision technique, puis être traduit dans toutes les langues officielles de l'ONU. La conférence intergouvernementale doit se réunir une nouvelle fois pour l'adopter formellement à une date qui reste pour l'heure inconnue. Ensuite suivront les phases de signature, puis de ratification du traité par les États.
Ratification par 60 États
« Les pays doivent adopter officiellement le traité et le ratifier le plus rapidement possible pour qu'il entre en vigueur, puis mettre en place les réserves marines entièrement protégées (…). Le temps presse et nous ne pouvons pas nous reposer sur nos lauriers », prévient Laura Muller, chargée de campagne océans pour Greenpeace Nordic. Le traité international n'entrera en vigueur que lorsque 60 États l'auront ratifié, et le temps long des négociations internationales risque de ne pas être compatible avec l'urgence écologique. L'objectif de protéger au moins 30 % de l'océan d'ici à 2030 est « un objectif qui, selon les scientifiques, est crucial pour maintenir la santé des océans face au réchauffement, à l'acidification et aux autres impacts du changement climatique », rappelle à cet égard Lisa Speer, directrice du programme international océan au Natural Resources Defense Council.
« Il avait fallu douze ans pour que la Convention ONU sur le droit de la mer de Montego Bay, signée le 10 décembre 1982, entre en vigueur en 1994, pointe sur Twitter le professeur de droit Arnaud Gossement. Espérons que cet accord sur la haute mer, qui complète cette convention, entre en vigueur plus rapidement, après quinze ans de négociations. » La Commission européenne appelle en tout cas à une ratification rapide et indique qu'elle aidera les pays en développement à se préparer à sa mise en œuvre. Elle a promis 40 millions d'euros à cet effet et appelle les 52 membres de la High Ambition Coalition à faire de même, « dans la mesure de leurs capacités ». Cette coalition, qui avait été lancée par Ursula von der Leyen et Emmanuel Macron lors du One Ocean Summit de Brest en 2022, a joué un rôle clé dans la négociation de l'accord, reconnaît Greenpeace.
« La conclusion des négociations ce jour doit marquer le début d'une dynamique nouvelle pour la coopération et le multilatéralisme permettant la préservation et la protection des océans. La France continuera à prendre toute sa part en vue d'atteindre cet objectif », indiquent la ministre des Affaires étrangères et le secrétaire d'État chargé de la Mer dans un communiqué commun. La prochaine Conférence des Nations unies sur les océans doit en effet se tenir à Nice, en 2025.
Laurent Radisson, journaliste
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