En 2019, Thomas Brail, grimpeur-arboriste fondateur du GNSA, est resté 28 jours perché sur un platane devant le ministère de la Transition écologique à Paris, pour dénoncer le vide juridique et le manque de moyens face à l’abattage d’arbres centenaires isolés ou d’alignement.
Le débardage à cheval permet de préserver les sols, notamment en site sensible. L’impact potentiel des machines forestières sur les sols augmente avec leur masse et le risque est d’autant plus élevé que l’humidité du sol est forte. La coupe rase a de nombreux effets négatifs sur les sols, parmi lesquels tassement et risques d’érosion, provoqués par les engins lourds qui circulent sur presque toute la surface
Depuis quelques années, l’intérêt de la société civile envers les enjeux forestiers va grandissant.
D’une part, la demande envers le bois, notamment pour la construction, exige de plus en plus de produits à la fois locaux et respectueux des forêts. D’autre part, des collectifs s’organisent, pour protester contre certaines pratiques de gestion, contre l’installation de méga scieries, ou d’autres projets conçus sans respect pour les arbres et leur rôle écosystémique.
Actuellement, la filière bois se sent attaquée de toutes parts, dans des mobilisations et communications diverses et variées, mais aussi parce que des dégradations, agressions verbales, tags sur des piles de bois, surviennent au quotidien.
Mais quelles sont ces pratiques contre lesquelles la société s’insurge ? Et dans les Pyrénées, qu’en est-il ?
Manifestation contre le projet de scierie Florian, Aspet, Octobre 2020
Disons le en préambule, toute dégradation ou agression verbale est inacceptable, autant celle qui vise les ouvriers forestiers que celle de l’exploitant qui envoie balader le promeneur, sans mauvais jeu de mot. Les réactions émotionnelles provoquent mal êtres, défiance et réflexes sécuritaires, creusant des fossés sans faire évoluer les pratiques. Ensuite, parlons des sujets qui fâchent : coupes à blanc remplaçant des forêts feuillues par des monocultures de résineux, installation de grands groupes (scieries, unités de bois énergie, main mise de coopératives forestières) étouffant la foresterie locale, mobilisant les subventions, détruisant les écosystèmes en place, haies et alignements d’arbres rasés, certifications bidon.
De très nombreuses prises de position publiques et actions médiatiques ont eu lieu ces dernières années sur ces sujets. Le film choc « le temps des forêts », l’Appel pour des forêts vivantes, les reportages de Cash Investigation mettant à mal le label PEFC (1), les interpellations des citoyens et des députés par l’association Canopée, sont parmi les exemples forts dénonçant une logique productiviste, mais aussi présentant des alternatives de gestion à un public ignorant tout de la thématique forêt.
En 2019, Thomas Brail, grimpeur-arboriste fondateur du GNSA, est resté 28 jours perché sur un platane devant le ministère de la Transition écologique à Paris, pour dénoncer le vide juridique et le manque de moyens face à l’abattage d’arbres centenaires isolés ou d’alignement. Suite à ces portés à connaissance, de nombreuses actions locales se sont créées là où on ne les attendait pas. Citons quelques exemples parlants.
En réaction à des projets d’aménagement entraînant la destruction d’arbres, pourtant sains et protégés à divers titres, est né en 2019 le Groupe National de Surveillance des Arbres (GNSA). Il est fort à ce jour d’un réseau de plus de 50 antennes en France. Un peu partout, des personnes se réunissent afin d’acquérir des parcelles forestières, créent des groupements forestiers engagés dans une sylviculture douce, à faible impact environnemental. L’objectif est bien de produire du bois, de fournir un marché local ou régional. Le Réseau des Alternatives Forestières (RAF), Pro Silva ou, dans les Pyrénées, l’association Sylvestre GDF sont parmi les associations dispensant des formations à ces acteurs de la forêt de demain.
D’une manière se voulant généralement complémentaire à ces initiatives, des organismes sans but lucratif préservent des forêts à fort enjeu écologique grâce à l’acquisition foncière, notamment dans les Pyrénées, en les soustrayant à l’exploitation forestière, et en les laissant à leur évolution naturelle.
Face à la mobilisation de la société civile, la partie de la filière bois concernée par les critiques se mobilise elle aussi et communique : campagnes publicitaires et spots télé, éditos, articles de presse, etc. Mais ne nous y trompons pas.
Selon un article paru ce mois de Mars dans le numéro 1 de la revue Forêt et Innovation du CNPF, il existerait un « contexte actuel d’hostilité envers les forestiers et de reportages à charge envers notre profession ». Le contexte actuel d’hostilité, les reportages à charge ne concernent pas les forestiers mais des forestiers, la profession mais une partie de la profession. Les entrepreneurs de travaux forestiers, professionnels et propriétaires engagés dans une sylviculture dite intégrative, à couvert continu, en traitement irrégulier, de type Pro Silva, les débardeurs à cheval, les scieurs mobiles, etc., ne sont pas visés par les oppositions dites hostiles ou les documentaires à charge.
Le débardage à cheval permet de préserver les sols, notamment en site sensible. L’impact potentiel des machines forestières sur les sols augmente avec leur masse et le risque est d’autant plus élevé que l’humidité du sol est forte. La coupe rase a de nombreux effets négatifs sur les sols, parmi lesquels tassement et risques d’érosion, provoqués par les engins lourds qui circulent sur presque toute la surface. Pour la partie de la filière bois qui se sent attaquée, il faut renouer le dialogue, rassurer. Or l’approche considérant que le citoyen auquel elle s’adresse, c’est à dire celui qui se lève contre certaines pratiques, est un ignorant, semble bien naïve. En 2022, une tribune à l’ « Obs », alertant sur les agressions et dégradations, condamnait la violence comme « la résultante d’une conception radicale de la place de l’humain dans les espaces forestiers. » Figurait également, au sujet du rôle multifonctionnel de la forêt : « Les travailleurs forestiers y contribuent chaque jour au bénéfice de la société tout entière. »
« Défendre la nature, c’est bien le rôle des forestiers qui s’y emploient avec passion de génération en génération, se forment, s’entourent des meilleurs conseils professionnels et ainsi, contribuent au renouvellement forestier et à son adaptation au changement climatique. Faisons confiance aux professionnels et apprenons à connaître ce qu’ils font, comment leur action s’inscrit dans un temps long, comment ils agissent pour fournir le bois français de nos maisons, de nos aménagements, comment ils créent des emplois non délocalisables valorisants dans le milieu rural tout en préservant la biodiversité. » nous est-il expliqué sur le site internet de Fransylva. (2)
Un rapide tour d’horizon dans les régions ce début 2023 nous montre que les pratiques détruisant les écosystèmes sont bien à l’œuvre, et que la confiance ne peut être attribuée de manière aveugle et absolue. Les collectifs organisés contre ces saccages sont déterminés. Pour exemple, à Tarnac en Corrèze, des opposants locaux se mobilisent depuis deux mois environ contre une coupe tout à fait légale devant raser 6 hectares d’une forêt de feuillus (hêtraie) en zone Natura 2000. Ils sont parvenus à stopper le chantier qui allait débuter, médiatiser leur action, mais la tension monte (voir nos actus). Autre cas dans le site classé du mont Préneley (PNR du Morvan), où les coupes rases se succèdent.
Associations et groupements forestiers locaux viennent d’ interpeller le Ministre de la Transition Écologique dans une lettre ouverte.
Le PNR avait même saisi le Conseil d’État en 2022 au sujet des coupes rases ! Plus proche de nous, la mobilisation contre les coupes à blanc pratiquées depuis plus de 3 ans dans la forêt des sources du Touch à Fabas (environ 800 hectares, Comminges), a été telle que le propriétaire de la moitié de la forêt, le fonds d’investissement Amundi (qui gère les actifs du Crédit agricole), a changé son fusil d’épaule, stoppé les travaux forestiers et ouvert la concertation. Source : www.vivreencomminges.org
Le projet immobilier Coucoo, qui détruirait une partie de la forêt de la Fajane, forêt ancienne constituée de hêtres (exceptionnel à cette altitude) au bord du lac de Montbel dans les Pyrénées cathares, a dû quant à lui faire face à une forte mobilisation locale et a vu son premier permis d’aménager suspendu par la justice. Il dépose aujourd’hui une nouvelle demande de permis qui fait l’objet d’une consultation publique jusqu’au 30 mars.
Pour qui se promène dans le piémont Pyrénéen, le mitage actuel des paysages est par endroits flagrant, avec des coupes drastiques de faible superficie ne laissant que des arbres de 20 à 30 centimètres de diamètre maximum là où existait la veille un écosystème vivant, complexe, que le forestier aurait pu aborder bien différemment.
Les dits « istes » (activistes, écologistes…citoyenistes ?) s’opposent à de telles dérives, souhaitent un changement d’approche et de méthode, pas une disparition de la sylviculture. A Tarnac, une opposante témoigne dans une vidéo de Canopée (voir nos actus) : « on pourrait faire des coupes d’éclaircie, ça ne poserait aucun problème, plutôt que de tout couper d’un coup pour replanter des résineux. »
Le citoyen engagé n’est plus dupe. Si les organes de gouvernance et la partie de la filière bois critiquée pour ses méthodes de gestion n’évoluent pas face à l’image qui leur est renvoyée, rien ne pourra avancer dans un sens pacifié et constructif.
Le changement de société a déjà lieu. Il appelle une politique forêt-bois de long terme, une sylviculture respectueuse de la complexité des écosystèmes, la préservation de forêts à fort enjeu écologique telles les vieilles forêts, et d’arbres vénérables qui émerveillent et ressourcent tant le forestier que le promeneur. Vieille forêt ariégeoise, sapin très âgé d’environ 125 centimètres de diamètre (1) Les reportages de Cash Investigation sont en libre accès sur Daily Motion (2) voir sur le site de Fransylva, fédération des syndicats des forestiers privés de France, le communiqué en réaction au spot du dispositif Sentinelles de la Nature de FNE diffusé sur Radio France en Janvier. Le spot a été amélioré suite à cette réaction.
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Les reportages de Cash Investigation sont en libre accès sur Daily Motion
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voir sur le site de Fransylva, fédération des syndicats des forestiers privés de France, le communiqué en réaction au spot du dispositif Sentinelles de la Nature de FNE diffusé sur Radio France en Janvier. Le spot a été amélioré suite à cette réaction.