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Société

Reportage : mais que se passe-t-il à Béziers ?

La police municipale passe en voiture. Mais là, sur le parvis de la cathédrale Saint-Nazaire de Béziers, qui domine un luxuriant paysage de champs et de vignes, avec au loin, le pointu du Canigou, il ne se passe rien. Quelques cris de gosses résonnent entre les vieilles pierres.

Béziers sous l'ère Robert Ménard ? Crèche à la mairie, couvre-feu pour les gamins, interdiction du linge aux fenêtres, des crachats… des pépites brûlantes pour les médias qui ne ratent jamais les provocations de cet ex-patron de Reporters sans Frontière, devenu proche du Front national.

«Tous les trois jours, on parle de Béziers, cela donne une image détestable de notre ville», constate Alain, 73 ans. «Pourtant, au quotidien, c'est plutôt un bon maire. Il y a eu des efforts sur la propreté, la sécurité, les choses se sont améliorées… Regardez, sur les allées Riquet, il n'y a plus les clochards qui squattaient les bancs. Petit à petit, la police municipale les a délogés»…

Au même moment, une voiture sérigraphiée passe encore au ralenti, et quatre paires de lunettes noires examinent les abords.

«La crèche de Noël dans la mairie, je trouvais ça bien. Il n'y a pas que les musulmans, après tout, dit Raymonde, 73 ans. La ville a trop changé, et il remet les choses en place. Il a raison».

«Oui ! Il a remonté la ville qui s'était dégradée. On faisait trop la part belle aux assistés, commente Gilberte. Mais c'était plutôt maladroit de comptabiliser les enfants musulmans».

Dans cette ruelle tordue proche de la mairie, le linge pend à une fenêtre. Robert Ménard, sitôt élu, l'avait interdit. Mais c'est plutôt joli.

Il n'y a pas foule à la halle du centre-ville. Les commerçants ont toutefois l'air contents. «Le maire a redynamisé le centre-ville, assure Marie-Thérèse. Je suis là depuis un an et demi, j'ai vu le changement. Il y a des commerces qui rouvrent».

Sophie Sandonato, présidente de l'association des commerçants de la halle, en rajoute : «C'est un maire qui est à l'écoute. Il a instauré un temps de stationnement gratuit, nos clients apprécient».

Autour des halles, les rues sont propres en effet, mais les vitrines aveugles. Peu de magasins vivent. En descendant l'avenue Alphonse-Mas, on trouve des kebabs et des boutiques pour téléphoner à l'étranger. Des mamans, caftans et foulards, passent en grappes, avec bambins et poussettes. L'ennui chantonne à l'orientale dans les cafés…

Béziers comme un laboratoire

Aujourd'hui, les Biterrois ne sont pas plus contrariés que cela de voir Toulouse prendre le leadership de la future région. En trente ans, Béziers a beaucoup changé. Montpellier, capitale régionale, a aspiré les activités, au détriment de sa rivale héraultaise. Le centre-ville de Béziers s'est vidé de sa classe petite-bourgeoise de fonctionnaires. Les uns sont partis, les autres ont préféré les villas avec piscines dans les villages alentours.

«Il y a 7 000 logements vacants dont 3 000 dans le centre», explique le socialiste Jean-Michel Du Plaa, conseiller municipal d'opposition, ex-conseiller général. «Des centres commerciaux géants en périphérie ont coulé le commerce de centre-ville. On s'est retrouvé avec des logis très dégradés, qui ont été repris par des familles pauvres issues de l'immigration. Ici, c'est le centre-ville qui va mal ! Or, Robert Ménard veut s'attaquer aux pauvres, nous nous voulons nous attaquer à la pauvreté».

«Il a déclaré que le centre-ville est occupé par des pauvres, des Maghrébins et des Gitans» ! rapporte Aimé Couquet, conseiller municipal communiste depuis plus de 30 ans.

Pour Jean-Michel Du Plaa, Ménard, né à Oran, fils d'un communiste passé à l'OAS, est en croisade… «Il adhère à la théorie du ‘'grand remplacement ‘' du théoricien de l'extrême droite Renaud Camus. Pour lui, Béziers est un laboratoire» !

«Alors, il divise», reprend Aimé Couquet. «Et taille dans le social. Il réduit les subventions du CCAS, supprime l'office municipal des sports».

«L'association Arc-en-Ciel fait un boulot formidable dans le quartier de la Devèze, assure Jean-Michel Du Plaa. «Elle accompagne des familles, joue un rôle intégrateur, modérateur et de civisme. Le président de cette association a eu le malheur de dire qu'il avait été déçu par l'abstention lors des départementales. Lui faisait allusion au fait qu'il déplorait que l'action sur l'engagement civique de l'association n'a pas été reçu. Or, Ménard a pris ça comme une critique, et a coupé les subventions» !

Quand on l'interroge, c'est le silence radio total du côté de l'association en question…

«Conviviença et paratge»

«Plus personne n'ose parler», confie un jeune travailleur social, à la Devèze. Ce quartier alterne petites maisons, immeubles, écoles, services, espaces verts. De grandes avenues où l'on voit passer lentement la police municipale. «Hier, un instit m'a lancé : «Bienvenue chez mes 90 % ! Les gens sont en colère. Ici, les mamans ne rêvent que de voir leurs gamins réussir. Il y a bien 10 ou 15 familles et une trentaine de jeunes qui posent problème… Mais l'immense majorité veut vivre en paix» !

Colère aussi chez Ruth Kaiser. Cette Allemande, passionnée de langues, est la coordinatrice de l'institut d'études occitanes.

«La crèche, l'affiche de la police municipale avec le pistolet, et puis ce comptage des enfants qui viole la Constitution… Il faut solliciter le vivre-ensemble et non pas le contraire ! Conviviença et paratge », voilà des valeurs dont nous avons besoin», dit-elle, en précisant que ses propos n'engagent qu'elle et pas l'Institut.

Colère enfin, chez les mamans à La Devèze. Devant l'école des Oliviers, au cœur du quartier, Faïza, longue jeune fille aux cheveux noirs déliés s'interroge : «Il a quoi contre les musulmans ? On est quoi ? Moi, je suis Française, née ici !»

La grand-mère, Fatma, se lance dans une diatribe en arabe : «Elle dit qu'au Maroc, les Français sont bien accueillis, toujours ! Alors pourquoi pas la même chose ici ?» traduit Faïza.

Nacera arrête sa poussette, Salima pose son panier. «Franchement, ça nous choque. On se sent visées, agressées. Cela fait des années qu'on vit ici. L'ancien maire, M. Couderc, il nous disait bonjour, lui ! Alors pourquoi ce racisme, en demandant aux gens s'ils mettaient leurs enfants dans une classe où il y a 70 % de musulmans ? Moi, assure cette jeune femme, longue jupe et foulard, je peux mettre mes enfants à l'école catholique, avec des croix partout, ce n'est pas un problème !»

«Pourquoi nous montrer du doigt ? poursuit Salima. On travaille, on paye les impôts, on dépense les sous à Auchan, on fait tous pareil !» Hier soir, cinq cent personnes ont manifesté devant la mairie contre les propos de l'édile.

Pour cinq ans

Entre l'école et les immeubles, tiens, il n'y a pas de voiture de police…

«On n'avait pas le feu, il va nous le mettre !», avertit notre travailleur social. «Ce n'est pas facile de trouver le bon tempo quand on est dans l'opposition, avoue Jean-Michel Du Plaa. Il faut éviter de trop attaquer, car Ménard est un spécialiste de la victimisation.»

«Il ne faut rien lui laisser passer, estime par contre Aimé Couquet. Lui, me traite de Staline, de clown, peu importe. Moi, après ses déclarations sur le fichage des enfants, je suis venu au conseil municipal avec le croissant des musulmans cousu sur ma chemise, pour rappeler l'époque de Pétain !»

Retour aux Halles, où passent toujours les policiers municipaux. Un groupe de lycéens sort d'Henri IV : «On a honte, disent en chœur Marine, Axel ou Léa. Ce que fait le maire nous rappelle les années 40 ! Et sa crèche, ses messes ? C'est ça, la laïcité ?»

«L'élection de Ménard a libéré la parole. Des gens se disent désormais ouvertement racistes» déplore Jean-Michel Du Plaa. «Ménard ne fait qu'ajouter aux divisions», estime pour finir Aimé Couquet. Mais il est aux manettes encore pour cinq ans.

«Hier, un instituteur m'a lancé : bienvenue chez mes 90 %. Les habitants sont en colère.»


Difficiles relations Midi Libre-Ménard

Entre le maire de Béziers et le journal local, Midi Libre, rien ne semble aller. Dès son élection, Robert Ménard a exprimé sa méfiance à l'égard de ses journalistes. Que ce soit à l'occasion d'une conférence de presse, ou sur le bulletin municipal, «tout est prétexte à nous brocarder», explique un responsable de la rédaction, «alors que nous sommes très vigilants sur le traitement de l'actualité municipale dont nous rendons compte scrupuleusement».

Ce qui a mis le feu aux poudres ? Une déclaration du psychiatre Boris Cyrulnik dont les parents ont été déportés par les nazis et qui se demandait s'il allait garder son antenne biterroise compte tenu de l'orientation politique de la nouvelle municipalité. Cette déclaration a été reprise par Midi Libre. Robert Ménard y a vu une diffamation et a porté plainte ! L'audience doit avoir lieu début juin.


Les polémiques

Enfants musulmans.Le 4 mai sur France 2, Robert Ménard annonce qu'il y a 64,6 % d'enfants musulmans dansles écoles de Béziers.

Galeries Lafayette. En avril, Robert Ménard fait placarder 130 affiches caricaturant la patronne des Galeries Lafayette : «2015, elle ferme son magasin à Béziers, 2 016 elle en ouvre un au Qatar.

19 mars.En mars, il débaptise le rond-point du 19 mars 1962 (fin de la guerre d'Algérie) pour le nom d'Helie Denoix de Saint-Marc, Résistant, puis putschiste en Algérie.

«Ami». Février 2015 : campagne d'affichage où l'on voit en pistolet en gros plan avec la légende : «Voici le nouvel ami de la police municipale.»

Crèche. Pour Noël 2014, il fait installer une crèche dans le hall de la mairie.

Crachat, linge, parabole…

Le maire interdit en mai 2014 le linge et les paraboles aux fenêtres. En septembre, il interdit de cracher dans la rue.

La Dépêche du Midi

Tag(s) : #Je suis Charlie, #Education, #Elections
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