« Que les choses soient claires : cette crise n'est pas causée par le dérèglement environnemental. Des pandémies, il y en a eu dans le passé, il y en aura d'autres. En revanche, la déforestation, le non-respect de l'hygiène alimentaire, la pollution, peuvent rendre ces zoonoses plus fréquentes, les aggraver », a déclaré Cédric Villani le 15 mai au journal Le Monde. Les prises de position sur les liens entre l'épidémie de Covid-19 et l'érosion de la biodiversité se sont multipliées ces dernières semaines, sans que l'on sache toujours très bien si ceux qui les énonçaient avaient la maîtrise du sujet.
C'est dans ce contexte que les ministères concernés ont confié à la Fondation pour la recherche sur la biodiversité (FRB) le soin d'établir une synthèse des connaissances scientifiques sur la question. Cette dernière, après avoir mobilisé son conseil scientifique et une trentaine d'experts extérieurs, a publié, le 15 mai, le fruit de son travail. Ces conclusions doivent être présentées à la ministre de la Transition écologique le 22 mai à l'occasion de la journée internationale de la biodiversité.
« À la lumière de cela, en lien avec sept ministères concernés (environnement, affaires étrangères, agriculture, santé, recherche, Outre-mer, et économie), je compte transmettre des préconisations aux ministres. Préconisations qui pourraient être portées à l'échelle internationale », annonce Yann Wehrling, ambassadeur à l'environnement.
Augmentation de la prévalence des maladies infectieuses
Que constatent les scientifiques ayant travaillé sur cette synthèse ? « La science met en évidence de façon croissante des corrélations entre changements environnementaux globaux, perte de biodiversité et des services de régulation associés, et émergence, ou augmentation, de la prévalence de maladies infectieuses. Le risque zoonitique peut être accru par l'érosion de la biodiversité via des facteurs écologiques, épidémiologiques, adaptatifs et évolutifs, et anthropiques », rapportent-ils.
La FRB souligne qu'il n'y a pas de dissensus particulier au sein de la communauté scientifique sur ce constat, même si elle souligne le manque de connaissances sur le cas particulier du Covid-19. « Il existe des constats antérieurs de fortes atteintes à la biodiversité, et en particulier à l'intégrité des écosystèmes en Chine, avec des conséquences sur l'état des populations de certaines espèces, dont les chauves-souris », précise-t-elle toutefois.
Les chercheurs se sont ensuite penchés de manière spécifique sur plusieurs aspects de ce lien entre zoonoses et érosion de la biodiversité, portant, respectivement, sur la déforestation, les infrastructures humaines et l'urbanisation. La synthèse souligne là aussi le « fort consensus » en faveur d'un lien entre déforestation et multiplication des zoonoses en Asie, Afrique et Amérique du Sud. Ce consensus existe aussi sur les effets de plusieurs activités sur l'accroissement du nombre d'épidémies d'origine zoonotique : changements d'usage des terres au bénéfice de l'agriculture, plantations non-spécifiques, activités extractives, infrastructures hydro-électriques et routières.
Si les connaissances manquent sur le nouveau coronavirus, contrairement aux virus Ebola ou Nipah, « on sait que la déforestation est encore en cours dans plusieurs régions chinoises et limitrophes (notamment Vietnam et Laos), où se trouvent les hôtes des virus, pour l'instant présumés, à l'origine du Covid-19 (chauve-souris rhinolophes et pangolins », relève la FRB.
Facilitateurs de zoonoses
Le risque zoonitique peut être accru par l'érosion de la biodiversité via des facteurs écologiques, épidémiologiques, adaptatifs et évolutifs, et anthropiques.
Les scientifiques de la FRB
Le développement des infrastructures humaines et en particulier des routes, barrages et activités minières, agit comme facilitateur de zoonoses. Elles contribuent à les transformer en épidémie. « Plus une région est connectée, en termes de quantité d'infrastructures et en termes de nombre de mouvements, à longue (voies aériennes ou maritimes) et courte distance (routes ou cours d'eau), plus elle peut jouer un rôle de diffuseur de pathogènes émergents à potentiel épidémique et pandémique, et elle-même être la cible d'une épidémie », rapportent les scientifiques.
Concernant l'urbanisation, là aussi, les chercheurs de la biodiversité font état d'un consensus scientifique sur l'accroissement des risques sanitaires du fait d'un accroissement des contacts avec certains éléments de la faune sauvage, notamment en zones péri-urbaines. Dans le collimateur ? Certaines tendances récentes comme l'éco-tourisme et un lien plus étroit avec la nature qui pourraient favoriser les contacts avec des agents infectieux forestiers transmis par des singes. Concernant plus spécifiquement le Covid-19, « la question du rôle des marchés proposant des animaux sauvages est centrale, mais les données scientifiques manquent à ce jour », indique la fondation.
Enfin, même s'il n'y pas consensus sur ce point, de nombreuses études montrent que la richesse et la diversité des espèces hôtes jouent un rôle protecteur dans la propagation des agents pathogènes. Ce que les scientifiques appellent « l'effet de dilution ». « Dans la crise du Covid-19, les connaissances sur l'écologie des communautés comprenant les animaux réservoirs présomptifs de coronavirus (chauve-souris rhinolophes et pangolins) sont trop faibles pour émettre une hypothèse de travail », constatent toutefois les chercheurs.
« Principe de précaution adapté à la situation »
Au final, « ce rapport établit qu'il est fort probable qu'un lien existe entre cette pandémie et la dégradation de l'environnement », résume Yann Wehrling. Et, pour l'ambassadeur à l'environnement, la présomption est si forte que « le principe de précaution est tout à fait adapté à la situation ». Aussi, celui-ci propose-t-il de porter à l'échelle internationale plusieurs propositions, parmi lesquelles un renforcement de la recherche et de la gouvernance santé / environnement, une régulation du commerce et de la consommation d'animaux sauvages, le renforcement de la protection des habitats naturels, ou encore « une prudence » sur les élevages et les transports d'animaux.
Le calendrier s'y prête. Plusieurs grands rendez-vous internationaux de la biodiversité, comme le congrès de l'UICN et la COP 15 de la convention sur la diversité biologique, vont se tenir d'ici quelques mois. De nombreux spécialistes préparent ces échéances, qui ont été repoussées… du fait de la crise de Covid19. La plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) organise, fin juillet, un atelier sur ce thème. Fin avril, quatre de ses experts ont lancé un appel à réorienter les plans de reprise économique face au potentiel de dévastation présenté par les futures épidémies.