L’exécutif communautaire a présenté ce mercredi les deux derniers piliers de son grand plan écolo, concernant l’agriculture et la biodiversité. Avec des mesures sans précédent par leur ambition, mais qui doivent encore être votées.
Green Deal : la nature progresse dans le paysage européen
Il n’est jamais trop tard. La Commission européenne a enfin présenté, mercredi, les deux derniers grands piliers de sa politique «de croissance durable», le Green Deal. Fait assez rare pour être souligné, ces nouvelles stratégies, l’une intitulée «De la ferme à la fourchette», l’autre sur la protection de la biodiversité, ont surpris par leur ambition, y compris du côté de la société civile.
«La restauration de la nature sera un élément central du plan de relance européen, permettant de nombreuses opportunités d’investissements et d’emplois pour restaurer l’économie européenne», a promis l’équipe d’Ursula von der Leyen. Alors que le très attendu plan de relance doit être présenté le 27 mai, elle appelle à débloquer au moins 20 milliards d’euros par an pour les «dépenses en lien avec la nature».
«Ce plan, sans précédent par sa teneur, mais qui comprend encore de nombreuses zones d’ombre, n’est pour l’instant qu’un cadre, souligne Pierre-Marie Aubert, expert agriculture pour l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri). La Commission doit encore développer les outils pour atteindre ces objectifs. Surtout, il faut éviter à tout prix que ces politiques accouchent uniquement d’ajustements à la marge. Elles doivent permettre une réelle transformation structurelle du système de production agricole.» Les deux textes doivent maintenant obtenir le soutien du Parlement européen, et surtout du réticent Conseil des Etats membres. Décryptage des quatre principales annonces.
Une réduction de «50 %» des pesticides chimiques d’ici 2030
Point déjà polémique du plan de la Commission, il prévoit «une diminution de 50 % de l’utilisation et du risque des pesticides chimiques, ainsi que de 50 % de l’usage des pesticides les plus dangereux» d’ici dix ans. La formulation ambiguë laisse la possibilité à l’industrie de se concentrer sur la baisse du «risque» des produits et non sur les quantités utilisées. Or, il n’existe pour l’instant aucun indicateur fiable pour évaluer ce risque au niveau européen. «On peut clairement voir dans cette faille l’empreinte de Bayer [géant allemand des pesticides qui a racheté Monsanto en 2018, ndlr]», assure Friedrich Wulf, expert biodiversité pour l’ONG Amis de la Terre Europe.
Malgré cela, les producteurs de produits phytosanitaires ne voient pas ces annonces d’un bon œil. «Une réduction de 50 % n’est pas réaliste et n’aura pas les effets désirés, tranche Géraldine Kutas, directrice générale de l’European Crop Protection Association, le principal groupe représentant les intérêts de la filière. Soyons clairs, nous ne sommes pas opposés aux objectifs chiffrés. Cependant, ces ambitions doivent être établies en accord avec tous les acteurs, et soutenues par des études d’impact.» Le commissaire à l’Environnement, Virginijus Sinkevičius, a tenu ses positions, mercredi lors d’une conférence de presse, en rappelant que «la disparition progressive des pollinisateurs, comme les abeilles, met en danger le système de production agricole. Les pesticides ont, en plus, des effets néfastes sur la santé humaine et l’eau». En Europe, 76 % de la production alimentaire dépendrait de la pollinisation.
Parmi les pistes présentées comme des solutions aux problèmes environnementaux, Bruxelles (et le secteur de l’agriculture conventionnelle) prône une «numérisation» accrue des fermes, notamment pour optimiser l’utilisation de pesticides. Mais plusieurs ONG craignent que cet accent mis sur les technologies serve d’excuse pour éviter des changements radicaux.
Un objectif de 25 % de terres agricoles en bio d’ici 2030
Le projet est sans conteste ambitieux. Il s’agirait de passer d’un peu plus de 7,5 % des terres agricoles en bio actuellement, à 25 % dans dix ans. Un bond qui impliquerait une forte augmentation des aides à la conversion, notamment via la future Politique agricole commune, dont les négociations doivent aboutir très prochainement. Bruxelles prévoit aussi une baisse d’au moins 20 % de l’utilisation de fertilisants.
Du côté des producteurs de bio, on salue cet objectif. «Il est possible de produire assez d’aliments de bonne qualité, à des prix abordables, pour nourrir l’Europe, sans utiliser de pesticides ni d’intrants chimiques, assure Eric Gall, directeur adjoint de la Fédération européenne des organisations promouvant l’agriculture biologique. La politique agricole commune représente 40 % du budget européen. Si les bonnes orientations y sont inscrites, nous avons les outils pour réussir cette transition.»
Sans surprise, le regroupement européen des syndicats agricoles majoritaires, qui a l’oreille des décideurs politiques dans l’Union, n’est pas du même avis. «Cette proposition met en danger la sécurité alimentaire européenne, dénonce Pekka Pesonen, le secrétaire général de la Copa-Cogeca. La Commission fixe des objectifs sans donner aux agriculteurs les outils pour les accomplir. Nous soutenons le développement de l’agriculture biologique, mais il faut être sûr que les consommateurs soient prêts à payer plus cher pour leurs aliments, surtout dans le contexte actuel de crise économique où de nombreux Européens risquent de perdre leur emploi.»
Pour faciliter ces transformations, Bruxelles a mis sur la table une réforme de la TVA, en discussion au Conseil européen. «Cela permettrait aux Etats de mettre en place des taux plus ciblés, pour soutenir, par exemple, les fruits et légumes biologiques, décrit la stratégie agricole. Les systèmes de taxation devraient aussi tenter d’assurer que les prix alimentaires reflètent leur coût réel, en termes d’utilisation des ressources naturelles, de pollution et d’émissions de gaz à effet de serre.» Bruxelles encourage aussi les Etats à rémunérer les fermiers qui participent au bon maintien des sols.
Comment ces nouvelles ambitions seront-elles intégrées dans la Politique agricole commune ? Plutôt que de l’inscrire dans les textes, l’exécutif européen préfère passer au filtre du «Green Deal» les plans nationaux agricoles que devront présenter les Etats membres.
Protéger un tiers des terres et des mers européennes
Actuellement, 10,8 % des espaces marins et 21 % des terres sont protégées dans l’Union. La Commission compte faire monter ces niveaux à 30 % d’ici dix ans. Un objectif que l’UE défend aussi dans les négociations en cours sur un accord mondial sur la biodiversité. «C’est une bonne nouvelle, commente Friedrich Wulf. Mais l’annonce la plus importante est la création d’un nouveau cadre gouvernemental qui devrait permettre, enfin, un respect des mesures législatives de protection de la biodiversité.» Un récent rapport estime que les zones couvertes par le programme européen de conservation Natura 2000 ont vu, au mieux, une stagnation des niveaux de protection des espèces, et dans certains cas une dégradation.
Le sort de la biodiversité est loin d’être anecdotique pour l’économie européenne. Parmi les 9,6 millions d’emplois dans l’agriculture, 1,3 million est lié directement ou indirectement au succès des programmes Natura 2000. De même, pour 3,1 millions de personnes travaillant dans le secteur touristique. Au total, les bénéfices du réseau Natura 2000 s’élèveraient à 200 voire 300 milliards d’euros par an.
Autre enjeu crucial, la Commission s’attaque à la préservation des sols. Leur détérioration réduit l’apport en nutriments des aliments cultivés, et limite la capacité des terres à stocker du carbone, un levier essentiel pour lutter contre le changement climatique. Pour cela, l’exécutif européen annonce un «vaste plan de restauration naturelle» soutenu par un nouveau cadre légal qui prévoira des objectifs contraignants. Au moins 25 000 kilomètres de rivières devront retrouver leur libre écoulement. De même, 3 milliards d’arbres devront être plantés «en respectant les principes écologiques» d’ici 2030.
Promouvoir un régime moins carné
Pour la première fois, la Commission européenne s’est attelée à l’épineux dossier de l’élevage intensif. «Se diriger vers un régime plus fortement basé sur le végétal avec moins de viande rouge et transformée, et avec plus de fruits et de légumes, réduira non seulement les risques de maladies létales, mais aussi l’impact de l’environnement sur le système alimentaire» peut-on lire dans la stratégie «De la ferme à la fourchette». «Cette recommandation n’est adossée à aucun outil de mise en œuvre, regrette Pierre-Marie Aubert de l’Iddri. Par ailleurs, l’évolution de la demande intérieure européenne ne sera pas nécessairement assez structurante pour faire bouger l’offre, tout dépend des secteurs. Par exemple, près de 40 % du lait produit en France est aujourd’hui exporté. Il est donc important de travailler simultanément sur la demande et sur l’offre, en particulier via les pratiques d’élevage à la base.»
La Commission demande aussi à ce que les ventes d’antibiotiques pour les animaux d’élevage et l’aquaculture soient réduites de moitié d’ici dix ans. Un enjeu tant environnemental que de santé publique. L’antibiorésistance serait responsable d’environ 33 000 morts par an dans l’Union. Une révision de la législation sur le bien-être animal est aussi en cours, avec la possible création d’un étiquetage des produits sur ce critère.