Sylvain Nicolino, professeur de français au collège des Trois Vallées a accepté de répondre à mes questions sur l'école pendant et après le confinement.
Vous avez assuré pendant le confinement, et vous continuez depuis le 11 mai, à assurer les cours du collège et ceux de vos enfants en télétravail. Quelles sont vos observations par rapport à cette méthode?
Du 16 mars à aujourd'hui, j'ai fait de l'enseignement à distance. Chacun de mes collègues a fait avec ses compétences et ses goûts. J'ai vite compris que les vidéos, je n'aimais pas (et il y a ce qu'il faut sur internet ou à la télé) et que j'étais plus à l'aise avec l'écrit. Des enregistrements audio ont complété les textes, visuels et chansons étudiés par les 6°, 4° et 3°. Les messages qui accompagnaient ces envois étaient nécessaires, autant pour rassurer les élèves, les parents que pour se rassurer soi-même. A ces messages collectifs s'ajoutaient les messages plus personnels. Le risque de l'intime était évacué puisque j'associais les parents au message envoyé à leur enfant. En revanche, mon téléphone personnel et mon mail personnel, j'ai dû les passer à quelques-uns. Les "vacances", les week-ends, les jours fériés, les horaires de nuit ont disparu sous l'avalanche des échanges. On ne peut pas dire à un salarié "gérez mieux votre temps de travail" : qui va répondre aux messages ? Soit on les supprime, soit on y répond quand on peut. Et le plus tôt, c'est le mieux car derrière, il y a une personne bloquée.
Comme en parallèle j'avais trois enfants à la maison, j'ai compris au bout de deux semaines qu'il fallait un cadre fort qui passe par des horaires clairs et des rituels (la date, le titre...). Les maîtresses avaient un padlet hebdomadaire et quotidien. Je passais mon contenu aux collégiens le même jour chaque semaine avec du travail "pour la semaine". Mieux vaut dire "Rendez-moi le travail avant samedi" et accepter le travail rendu "en retard" trois jours plus tard. J'ai fait tourner le travail à me montrer : cinq élèves par classe chaque semaine (et en plus les questions des autres, évidemment). On en a malgré tout perdu. Nos grands de 3°, si je pense aux sportifs, sont passés de 16 à 20h de pratique sportive par semaine à 0h en quelques jours. C'est un choc physique et mental. Leurs histoires d'amour ont été contrariées et nous savons comme c'est un passage formateur pour les acteurs ou ceux/celles qui commentent les histoires des autres. Certains vivaient seul avec un couple d'adultes, d'autres avec un parent au boulot une grande partie de la journée (ou de la nuit) et avec plusieurs petits dont il fallait s'occuper. Ce qui m'a marqué, c'est la dignité des adultes : on a pu se parler sans faux-semblants sur les difficultés accentuées par la situation.
Mes enfants ont eu des classes virtuelles, des espaces pour poster des messages, des photos : ça semblait important pour eux. J'ai aimé les voir se débrouiller avec un ordinateur. Je ne m'y attendais pas.
Toutes les écoles sur le territoire de la 3CGS n'ont pas rouvert, exceptées quelques unes sur le canton de Salies et Saint Martory. Quel est votre ressenti?
Les deux écoles de mes enfants ne devaient pas rouvrir. En dehors de ma situation personnelle de travailleur, cela m'a choqué : si je prends le plus jeune, il a passé dix semaines à être "le plus petit" dans le cadre familial. Lorsqu'il est avec ses copains et copines, il est leur égal. C'est une grande violence faite, malgré les paysages, l'espace, le retour du potager... que cette mise au ban de la société. Vivre, c'est faire partie d'un tout qui dépasse la famille, c'est se confronter aux autres, faire avec ou contre eux. Il ne s'agit pas seulement d'enseignement ou d'éducation : ce qu'accompagnent les collègues adultes des écoles quels qu'ils soient, c'est la construction d'un rapport aux autres et au monde. C'est cela dont mes enfants et ceux des autres ont été privés. A qui la faute ? Aucun de nous ne peut juger, tant qu'il n'est pas dedans, les mains dans le cambouis. Personne ne se satisfait que l'école du village ou du quartier soit fermée. Personne. J'étais amer que mes enfants ne puissent revoir leurs camarades et que cela pénalise les collégiens une semaine sur deux (garde alternée), mais il y a des élections, du bénévolat : à chacun de se demander ce qu'il peut faire pour aider les autres. Mettre la pression est une expression délicate, celle des luttes et des combats ; j'aurais préféré des échanges, des discussions, des "faire ensemble"
Je ne suis pas professionnel de la santé : lorsque je discute, j'entends "il faut faire sauter le protocole". Je comprends cette colère, mais ça me gêne. On a tout de même eu des morts, ils n'ont pas été inventés. On a aussi beaucoup de gens avec une santé délicate : ils ne le font pas exprès. Les garde-fous donnés par le protocole sont peut-être mauvais, je ne peux en juger. De toutes façons, les verrous sautent les uns après les autres. Là aussi, personne n'aime une vie verrouillée. "Crever à l'air libre plutôt que sous un masque" : c'est aux adolescents qu'il conviendra de construire leur vie sous menace sanitaire... sous menace sociale, sous menace écologique, sous menace politique. Nous tous, nous toutes, notre meilleure aide c'est de leur faire part de nos réflexions, pas de nos conclusions. Evitons les grandes certitudes...
Après, il y a la peur, ou d'autres sentiments : sur mes 30 élèves de 6°, depuis le 18 mai où je suis retourné au collège, seulement 6 sont revenus. Il y a de la place pour 6 ou 7 autres selon la salle. Il faudra construire avec eux un retour en septembre, par-delà les craintes, les hontes, les doutes. Je continue à mettre mes cours en ligne pour les autres.