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Alors que l'épidémie de Covid-19 fait rage, Camille Lebarbenchon explique comment les pressions humaines sur la biodiversité favorisent l'émergence de zoonoses et augmentent le risque de catastrophes sanitaires.

Actu-Environnement Le Mensuel N°401Cet article a été publié dans Actu-Environnement Le Mensuel n°401
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Camille Lebarbenchon
Enseignant-chercheur à l'Université de La Réunion au laboratoire Processus infectieux en milieu insulaire et tropical

Actu-Environnement : Est-on sûr que le virus a été transmis par un animal ?

Camille Lerbarbenchon : Les coronavirus sont communs chez les animaux sauvages, en particulier chez les chauves-souris et les oiseaux, qui sont considérés comme leurs principaux hôtes. Ils sont également responsables de maladies dans les élevages avec, par exemple, la bronchite infectieuse aviaire et la diarrhée épidémique porcine. Chez l'homme, en plus du Sars-Cov-2, responsable de l'épidémie de Covid-19 en cours, six autres coronavirus ont été décrits dans le passé. Quatre d'entre eux sont responsables, chaque année, de maladies généralement bénignes. Les deux autres, le Sars et le Mers, entraînent des syndromes respiratoires aigus et une plus grande létalité. Tous ces coronavirus humains ont une origine animale plus ou moins bien identifiée à ce jour.
Quand on compare le génome du Sars-Cov-2 avec les génomes des autres coronavirus, on constate qu'il est identique à environ 96 % avec un coronavirus de chauve-souris (Rhinolophus affinis) que l'on trouve en Asie du sud-est. Plusieurs coronavirus ont récemment été détectés chez une espèce de pangolin (Manis javanica). L'étude de leur génome montre qu'ils sont, eux aussi, plus ou moins similaire au Sars-Cov-2. De plus, certaines mutations que l'on retrouve sur les protéines de surface des virus de pangolins sont identiques à celles que l'on trouve chez le Sars-Cov-2, démontrant qu'il pourrait potentiellement y avoir un lien entre ces deux virus.
Les virus de chauves-souris et de pangolins ont donc un ancêtre commun avec le Sars-Cov-2 mais, à l'heure actuelle, on n'a toujours pas identifié chez quelle espèce le virus a circulé avant sa transmission à l'homme. Même si la piste du pangolin est intéressante, il ne faut pas non plus écarter d'autres espèces animales, sauvages et domestiques, qui auraient pu être en contact avec l'homme au début de l'épidémie.

AE : Quel est le scénario de contamination et s'explique-t-il par une pression accrue de l'homme sur la biodiversité ?

CL : Le scénario exact de contamination de l'animal à l'homme n'est toujours pas clair étant donné que la ou les espèces réservoirs du Sars-Cov-2 n'ont pas été identifiées. Dans le cas du Sars-Cov, le plus proche coronavirus humain du Sars-Cov-2, la contamination se serait faite par l'intermédiaire de civettes (Paguma larvata), bien que cette espèce ait probablement eu un rôle très ponctuel dans le maintien et la transmission du virus à l'homme.
Le commerce, illégal ou non, et la consommation de nombreuses espèces animales sauvages génèrent des opportunités de transmission d'agents infectieux entre les animaux sauvages et l'homme. Les populations de civettes sont en baisse, l'espèce de pangolin citée plus haut est classée en danger critique d'extinction (liste rouge de l'UICN - Union internationale pour la conservation de la nature). Il est évident que la pression exercée par l'homme sur la biodiversité favorise l'émergence des zoonoses.

AE : Existe-t-il d'autres illustrations d'émergence de virus liée aux atteintes à l'environnement ?

CL : La grande majorité des évènements d'émergence de zoonoses résulte des changements environnementaux générés par les activités humaines. 
Le lien entre la déforestation, la fragmentation des habitats, l'agriculture, l'élevage intensif et l'émergence du virus Nipah, par exemple, a été démontré. Ce virus a été découvert à la fin des années 1990 lors d'une épidémie qui a touché près de 300 personnes en Malaisie. Ce virus, responsable, lui aussi, d'un syndrome respiratoire aigu et d'encéphalites, mortel dans 40 % des cas, est maintenu chez les chauves-souris frugivores dans les forêts tropicales. Les enquêtes épidémiologiques réalisées suite à l'épidémie de Nipah ont démontré que la déforestation a favorisé la mise en contact des chauves-souris avec les élevages de porcs et, ainsi, la transmission en cascade du virus, du porc à l'homme.
En Chine, le système d'élevage et de commerce de volailles favorise le maintien d'une grande diversité de virus influenza. Ce maintien et brassage génétique de virus existe depuis plus de 20 ans et est régulièrement à l'origine de cas d'infections par des grippes aviaires, chez les volailles mais aussi chez l'homme (virus H5N1, H7N9, etc.). À travers nos activités, nous créons ainsi de nouveaux écosystèmes, permettant le maintien de nombreux virus qui s'adaptent à ces nouvelles conditions. La transmission de virus entre les animaux et l'homme est alors facilitée.
Il existe beaucoup d'autres exemples. Les animaux sont souvent pointés du doigt, en particulier les chauves-souris. Le problème ne vient pas des espèces animales, mais des changements environnementaux issus de nos activités, qui créent des portes d'entrée pour ces virus dans nos populations.

AE : De nouvelles catastrophes sanitaires du même type sont-elles à craindre pour ces raisons et que faudrait-il faire pour les prévenir ?

CL : Les émergences de zoonoses ne sont pas nouvelles à l'échelle de l'humanité. Elles remontent à plusieurs milliers d'années, lorsque l'homme a commencé à modifier son environnement et ses interactions avec les autres espèces, notamment à travers la domestication animale. La pression exercée sur notre environnement et sur la biodiversité n'a cependant jamais été aussi intense. Il est donc peu probable que l'émergence du Sars-Cov-2 soit la dernière catastrophe et il est temps de réfléchir à de nouvelles stratégies pour faire face à cette double crise, sanitaire et environnementale. Tous les citoyens doivent prendre conscience des liens étroits qui existent entre nos activités, nos modes de consommation, l'impact sur notre environnement et les problèmes sanitaires. Nous devons travailler à la mise en place d'autres logiques économiques et de développement, où la santé humaine et la santé environnementale ne sont pas opposables.

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