Afin d'assurer la sécurité alimentaire de l'Europe face à la guerre en Ukraine, les ministres de l'Agriculture sont tombés d'accord pour cultiver les jachères, tandis que la présentation du règlement sur les pesticides est sortie de l'ordre du jour.
Ce que craignaient les contempteurs de l'agriculture intensive s'est réalisé. Les ministres de l'Agriculture européens, réunis à Bruxelles, lundi 21 mars, ont acté plusieurs mesures qui remettent en cause des avancées de l'UE en matière de verdissement de sa politique agricole, au nom de la sécurité alimentaire face aux conséquences de la guerre en Ukraine.
Les ministres ont donné leur accord à plusieurs propositions de la Commission destinées à « renforcer la sécurité et la souveraineté alimentaire de l'UE », parmi lesquelles une dérogation temporaire pour pouvoir utiliser les jachères. Et ce, conformément aux conclusions du dernier Conseil européen. Réuni à Versailles, les 10 et 11 mars derniers, celui-ci avait acté la nécessité d'améliorer « notre sécurité alimentaire en réduisant notre dépendance aux importations des principaux produits et intrants agricoles, en particulier en augmentant la production de protéines végétales au sein de l'UE ».
Production de protéagineux sur les jachères
La politique agricole commune (PAC) impose de consacrer 4 % des terres à des surfaces non productives. Ce sont ces surfaces que les instances européennes souhaitent valoriser. « En réalité, les terres disponibles pour produire plus sont bien inférieures à ces 4 % et représentent au final une "goutte d'eau" par rapport aux surfaces russo-ukrainiennes qui pourraient venir à manquer. (…) Sauf à détruire le peu de haies restantes et à retourner les prairies, le réservoir de terre est en réalité assez limité », explique Mathias Ginet dans une note publiée par le laboratoire d'idées Terra Nova.
La discussion sur les pesticides reportée
Dans le même temps, la présentation du projet de règlement sur les pesticides, qui devait avoir lieu ce 23 mars également, n'est plus à l'ordre du jour. « Il n'y pas de discussion prévue sur les produits phytosanitaires pour la prochaine réunion », a sobrement confirmé le commissaire Janusz Wojciechowski.
Plusieurs dizaines d'ONG ont adressé, le 21 mars, un courrier à la Commission européenne pour lui faire part de leur inquiétude sur un possible affaiblissement du projet de règlement. Ce texte, qui doit prendre le relai de la directive du 21 octobre 2009, est en révision depuis deux ans. La Commission avait ouvert une période de contribution sur ce projet, en mai 2020, puis une consultation publique, en janvier 2021. Elle affichait cette révision comme un outil essentiel pour atteindre les objectifs définis dans sa stratégie pour la biodiversité et sa stratégie de la ferme à la fourchette, en particulier celui de réduire de 50 % l'utilisation des pesticides chimiques d'ici à 2030.
« Un projet ayant fuité en février 2022 témoigne d'un manque d'ambition, mais fixe malgré tout certains objectifs au niveau européen qui soulèvent l'ire de certains pays de l'UE et de l'agrochimie », rapporte l'association Générations futures, qui figure parmi les signataires du courrier. L'inquiétude des ONG a été renforcée par une note signée, le 16 mars, par douze États membres, qui font part au Conseil de l'UE de leurs préoccupations concernant ce projet, en particulier quant au risque de perte de production. À travers leur courrier, les ONG demandent à l'exécutif européen de respecter ses engagements et de s'éloigner du modèle agricole actuel et de sa dépendance aux intrants. « Profitant de la crise dramatique que connait l'Ukraine, les lobbies de l'agrochimie mettent une pression sans égale pour affaiblir les textes européens visant à réduire l'utilisation des intrants chimiques, tout particulièrement les pesticides », dénonce Générations futures.
Le calcul visant à repousser le verdissement de la politique agricole pour augmenter la production pourrait se révéler totalement erroné. « La recherche à court terme d'un choc de production par l'augmentation des rendements (…) risque de se heurter à la hausse du prix des intrants et de générer des externalités négatives en matière environnementale (émissions de gaz à effet de serre, épuisement des sols…). Le tout sans générer des gains véritablement significatifs sur les rendements, qui sont déjà très élevés », analyse Mathias Ginet, pour Terra Nova.
Et de conclure : « Au final, l'intensification de la production pourrait transférer la dépendance aux grains ukrainiens à une dépendance encore plus marquée au gaz et au pétrole. »
Laurent Radisson, journaliste
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