LE MÉDIA DÉDIÉ AUX INITIATIVES DES COLLECTIVITÉS PUBLIQUES
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La lettre de l’impact positif s’intéresse cette semaine à une initiative développée par le département de Saône-et-Loire.
Pour lutter contre la désertification médicale, son président André Accary, a décidé de mettre en place un centre départemental de santé. Il propose aux médecins de rejoindre son territoire en échange d’un emploi salarié où toutes les tâches administratives sont gérées par la collectivité. Le médecin peut donc se concentrer sur son métier. Le pari est déjà réussi puisque 40 médecins ont été recrutés et 20 000 habitants ont pu retrouver un médecin traitant dans l’une des 45 antennes du centre départemental de santé.
Nous avons interviewé André Accary, président du Département de Saône-et-Loire pour qu’il nous parle plus précisément de cette initiative.
Avant cela prenez le temps de découvrir notre reportage vidéo tourné à Mâcon :
– Mise en place du projet –
Comment l’idée vous est-elle venue ?
L’idée du centre départemental de santé est venue d’un constat. En 2015, lorsque j’ai étudié l’ensemble des dispositifs, j’ai pu constater que les dispositifs mis en place avaient trop peu d’efficacité. Je savais qu’en 2018, 50 % des médecins généralistes libéraux étaient en âge de prendre leur retraite. Heureusement, par ailleurs, qu’ils ne l’ont pas tous prise en même temps. Je cherchais une solution pour essayer de reconstruire un maillage sur le territoire. Très vite, à l’occasion de différentes rencontres, je suis allé sur l’idée de création d’un centre de santé à l’échelle du département. Je me suis rendu à Paris pour rencontrer la fédération des centres de santé pour essayer de comprendre comment je pouvais transposer un modèle déjà existant à l’échelle d’une commune sur un territoire comme un département.
Cela n’avait encore jamais été réalisé ?
Non, c’était une première. Je voulais absolument le faire à l’échelle de l’ensemble du territoire de Saône-et-Loire. Je souhaitais aussi bien traiter les territoires ruraux que les zones urbaines. Je considère qu’à partir du moment où vous avez de la population sur un secteur, il faut lui apporter le même service. Pour moi, la santé est le premier service à apporter.
Le manque de médecin touche aussi bien la campagne que la ville ?
Quand une épicerie ferme, cela fait beaucoup de bruit dans un village alors que dans une ville, on n’en entend pas parler. C’est exactement la même situation dans le domaine de la santé. La désertification médicale est aussi importante dans les zones urbaines que dans les secteurs ruraux. Vous avez, sur toute la région parisienne, des pans entiers du territoire qui n’ont plus du tout de médecin. C’est vrai aussi à Marseille et à Lyon. En Saône-et-Loire, comme Chalon ou Mâcon, nous avions un manque évident de médecins généralistes. Il ne faut pas oublier que vous avez toute une partie de la population, en France et notamment en Saône-et-Loire, qui n’avait plus de médecin traitant.
Quelles ont été les différentes étapes de mise en place ?
Il y en a eu énormément. Pendant un an et demi, j’ai essayé, en toute discrétion, de comprendre comment fonctionnait la médecine, notamment les médecins généralistes. Depuis les études jusqu’à la phase retraite. J’ai sollicité de nombreuses rencontres, un peu partout, pour bien comprendre et mieux appréhender les aspirations de ces personnes. Que ce soit celles qui entrent dans ce métier, que celles qui souhaitent exercer ce métier dans les années futures. Il a fallu surtout essayer de comprendre ce qui pouvait le mieux fonctionner sur un territoire. Petit à petit, mon projet s’est construit et j’ai monté ça comme une entreprise.
Avec quels acteurs le projet s’est il construit ?
J’ai été voir le directeur de l’Agence Régionale de Santé de Bourgogne-Franche-Comté. J’ai aussi été voir la directrice de la caisse d’assurance-maladie. J’ai consulté l’ordre des médecins et les syndicats de médecins libéraux. J’ai été faire des rencontres dans les facultés de médecine à Lyon, ou à Dijon, pour essayer d’avoir tout le monde autour de la table. C’est sans doute une des clés de notre réussite. Depuis le début, j’ai voulu associer l’ensemble des acteurs pour essayer de réussir un réaménagement sur l’ensemble du territoire. J’ai tout de suite mis l’ensemble de la profession et les élu·e·s pour que tout le monde participe à la réussite de ce projet.
Sur quelle échelle de temps, ces différentes étapes se sont-elles déroulées ?
Il y a eu plus d’un an et demi de diagnostic (et de rencontres) pour faire valider le projet avec le directeur de l’ARS. Ensuite, je l’ai présenté publiquement. C’était une étape où tous les acteurs du territoire ont été mis au courant. Ensuite, il a fallu réunir tout le monde autour de la table. Il y a eu une première phase de rencontres individuelles et une deuxième phase où tous les acteurs étaient autour de la table. Cela s’est passé dans les mois d’été 2017, avant de présenter le rapport complet et la structure à l’assemblée départementale. L’initiative a été votée en septembre 2017, pour ensuite recruter les médecins en octobre et novembre 2017. Nous avons pu ouvrir le premier centre en janvier 2018.
– Le projet aujourd’hui –
Qu’a changé le centre de santé départemental sur votre territoire ?
Un centre de santé département est l’opportunité pour un habitant de trouver un médecin dès qu’il en a besoin. L’objectif était que chaque habitant qui ne possédait plus de médecin puisse en retrouver un sur son territoire. Aujourd’hui nous sommes presque à 20 000 patients qui ont pu retrouver un médecin traitant. C’est ça l’enjeu d’un centre de santé : on pousse une porte et il y a un médecin généraliste derrière.
Quel a été le rôle du département dans cette initiative ?
Le département de Saône-et-Loire a construit « l’entreprise ». Il a recruté les médecins. Le département s’occupe de l’organisation de l’ensemble du centre de santé et de toute la logistique. Les communes fournissent les locaux et une partie du fonctionnement. Le département prend en charge tout le reste. L’objectif, c’est que finalement chaque médecin recruté par le département ne fasse que ce pourquoi il a été formé : de la médecine générale. C’est tout. Tout l’administratif, la logistique, c’est le département qui prend en charge.
Les médecins acceptent-ils d’être salariés ?
Nos médecins généralistes font partie d’un pourcentage de cette population qui recherche une activité salariale. L’avantage du contrat en Saône-et-Loire, c’est que la pratique est identique à celle d’un médecin général dans un village ou dans une ville. Sauf que là, il n’y a que de la médecine. Tout le reste est à la charge du département. Tout d’abord la dynamique a été d’avoir un contrat de travail qui répond à la demande des médecins et qui offre un univers qui leur permette de travailler en toute sérénité tout en se concentrant à 100 % à leur métier. C’est quelque chose que ces candidats recherchent. Ils ont une motivation pour venir dans ce département car ils y trouvent une qualité de pratique aussi bien en ville qu’en campagne avec un statut qui permet d’envisager un avenir plutôt serein.
Ce système permet donc de les attirer ?
Pas seulement de les attirer, mais aussi de les garder. C’est intéressant de les rencontrer parce qu’au fil des mois, c’est un travail d’équipe qui s’est instauré. Les médecins entre eux échangent sur les cas de leurs patients. En plus, nous sentons que c’est une entreprise au sein du département qui a été créée avec un esprit de motivation de bénéficier d’une qualité de travail tout en rendant service à la population du territoire. Je me suis dernièrement entretenu avec une médecin généraliste qui vient de Marseille. Elle est très heureuse de la qualité de vie ici et de l’environnement. Nous retrouvons ce discours chez les médecins qui étaient auparavant dans des sites très urbains. En plus, ils retrouvent une sérénité et une qualité de travail dont ils ne bénéficiaient plus.
Comment choisissez vous les zones où vous installez un médecin ?
Je les ai choisis au départ avec les différents chargés de mission du département, mais aussi avec l’ARS et l’Ordre des médecins. C’est ensemble que nous avons travaillé sur un maillage. Aujourd’hui, ce maillage évolue. Nous pouvons nous trouver sur des situations d’urgence. Il y a eu un cas récemment dans une commune où il y avait trois médecins et soudainement, il n’y en avait plus. J’ai suis donc intervenu d’une manière urgente. Dans un autre cas, j’ai eu aussi l’occasion d’ouvrir une antenne à Champforgeuil puis de la fermer trois mois après, car il y avait un médecin généraliste qui souhaitait s’installer sur le territoire. C’est quelque chose de très établi, mais en même temps de très souple. Nous nous adaptons à la situation sur le territoire. J’ai toujours dit que je ne venais pas en concurrence à la médecine générale, je viens en complément dans les territoires où il n’y a plus de médecins généraux et en soulagement quand il en manque. Par exemple, j’ai dernièrement eu une demande de deux médecins généralistes, car ils étaient débordés par le nombre de patients et ils avaient besoin d’un médecin salarié pour retrouver une situation plus normale.
– Dupliquer le projet –
Comment financez-vous ce projet ?
Nous avons tout monté comme une entreprise. Il y a eu un investissement financier de départ réalisé par le département. C’était de l’ordre de deux millions d’euros. C’est un investissement, car cette « entreprise », nous l’avons montée pour qu’elle s’auto-finance et s’équilibre avec trente médecins équivalents temps-plein au bout de trois ans. Le fruit des consultations que le département perçoit sert à rémunérer les médecins, le secrétariat et la logistique.
C’est un projet qui est donc également intéressant sur le plan économique…
Au départ, il nous a coûté un investissement réel. Mais il faut voir ce que cela apporte à notre territoire. Il génère de l’économie. Un médecin généraliste qui revient sur une commune, c’est une pharmacie qui va continuer à fonctionner. C’est aussi une partie de la population et la dynamique qui va avec qui reste dans notre secteur. Aujourd’hui j’ai quarante contrats signés, demain il y en aura vingt de plus. Et cela continuera jusqu’à couvrir entièrement les besoins de notre territoire. C’est un modèle économique qui s’auto-finance.
Quel impact avez-vous mesuré pour cette initiative ?
L’impact se mesure facilement. Par exemple, nous pouvons prendre le nombre de patients qui n’avaient plus de médecins traitants et qui en ont retrouvé un. Aujourd’hui c’est 20 000. Demain ce sera 30 ou 40 000 selon les prochaines arrivées de médecins et la montée en puissance du nombre de consultations.Un autre impact : des établissements pour personnes âgées médicalisées, aussi appelés des Ehpads, ne bénéficiaient plus de la présence d’un médecin généraliste. Petit à petit, nous sommes en train de réinvestir ces établissements. Certains n’étaient plus suivis alors que ce sont des établissements médicalisés ! Nous venons là aussi en complément des médecins libéraux. En Saône-et-Loire, ce sont douze Ehpads qui ont retrouvé la présence régulière d’un médecin. Cela nous permet de vérifier de façon concrète le bien fondé de cette entreprise.
Quelles difficultés avez-vous rencontré ?
La première d’entre elles, c’était que le département n’avait pas dans ses compétences la mission de créer un centre de santé. On me l’a expliqué dès le départ. Je me suis donc demandé si quelque chose me l’interdisait. Je n’ai pas eu de réponse. À partir de ce moment-là, j’ai foncé. Au fil du temps, les barrières se sont ouvertes. Même si aujourd’hui tout peut paraître simple, cela a été compliqué car cela n’existait pas. Il y avait des idées reçues comme quoi je n’allais pas réussir à recruter, que ça allait être des dépenses publiques colossales, etc. J’ai rarement réagi. Petit à petit, les gens se sont rendus compte que c’était une bonne idée. Nous arrivons à recruter, les patients sont très contents du résultat et les médecins se trouvent heureux de pratiquer la médecine. La satisfaction est là. Nous rendons un vrai service à la population.
Quels conseils donnez-vous aux nombreux élus qui viennent voir votre initiative ?
Il faut faire preuve de beaucoup de prudence et de pragmatisme. Je pense qu’il faut un réel diagnostic du territoire et avancer d’une manière très collective. Ne pas imposer l’idée et vraiment faire un travail de fond. C’est-à-dire avoir des rencontres individuelles et l’accord de tout le monde au fil de ces rencontres. Il faut aussi rester très vigilant pour que finalement, l’idée soit bien partagée. Il faut le monter d’une manière la plus collective possible. Il faut aussi que les médecins qui exercent déjà sur le territoire soient complètement associés à cette initiative.
Propos recueilli par Baptiste Gapenne
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