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En pleine crise agricole, une mission d'information de l'Assemblée nationale préconise la mise en place d'un dispositif fondé sur le principe pollueur-payeur destiné à accompagner la prise de risques associée à la conversation des exploitations.
Agroécologie  |    |  L. Radisson

« Sur plus de soixante agriculteurs interrogés, pas un seul n'a dit qu'il ne voulait pas la transition écologique. Mais tous demandaient d'abord de pouvoir vivre dignement de leur travail », témoigne Manon Meunier (LFI – Haute-Vienne), corapporteure de la mission d'information de l'Assemblée nationale sur les interactions entre biodiversité et agriculture. La présentation de ses conclusions, mercredi 24 janvier, trouve un écho particulier alors que la France, après plusieurs pays européens, manifeste une grave crise de confiance dans le modèle agricole actuel.

Le constat effectué par la mission, celui de l'effondrement de la biodiversité dans les paysages agricoles assommés par l'agriculture intensive, est connu. Mais alors que les modèles agricoles alternatifs, qui préservent la biodiversité dont dépend l'agriculture, sont bien identifiés, le coût de la transition pour les agriculteurs est la plupart du temps prohibitif.

« Les freins actuels à la conversion d'une majorité d'exploitations vers l'agroécologie relèvent moins d'impasses techniques agronomiques – les solutions existent – ou encore économiques – la biodiversité pouvant être un facteur de résilience et de meilleure santé économique des exploitations – que d'un défaut majeur de l'État en matière de formation, d'accompagnement et de soutien financier aux agriculteurs sur qui reposent, encore trop, les risques financiers et techniques associés à une conversion », concluent les deux rapporteurs, Manon Meunier et Hubert Ott (Modem – Haut-Rhin), à l'issue de leurs travaux.

 

“ L'accompagnement à la prise de risque est une mesure phare ”Manon Meunier, corapporteure de la mission d'information
« L'accompagnement à la prise de risque est une mesure phare », insiste la députée de Haute-Vienne. D'où l'importance de la recommandation n° 13 du rapport, qui s'ajoute à la mise en place de prix planchers ou à la sortie des traités de libre-échange. Les députés suggèrent d'accompagner la prise de risque associée à la conversion d'une exploitation en compensant financièrement les agriculteurs en cas de diminution ou de pertes de récoltes. Comment ? Par exemple, par « la mise en place d'un fonds assurantiel mutualiste financé par l'industrie agrochimique selon le principe pollueur-payeur, ouvert aux agriculteurs qui s'engagent dans une réduction de 80 % de l'usage de pesticides et une diversification de leurs cultures », suggère la mission.

 

Baisse des revenus

Le passage d'un modèle conventionnel à un modèle préservant la biodiversité entraîne une baisse de revenus pendant quelques années en raison de plusieurs facteurs : l'acquisition de nouveaux équipements pour les semis en mélange ou le tri des récoltes ; la perte de surfaces cultivées du fait de la restauration des haies ou des bandes enherbées ; les techniques de lutte contre les bioagresseurs plus coûteuses en main-d'œuvre. « Le passage d'un modèle simplifié, où la stabilité des rendements est assurée par l'utilisation d'intrants, vers un modèle complexe est source d'incertitudes et peut entraîner une baisse de la production conjoncturelle, voire même structurelle selon les types de cultures », ajoutent les auteurs du rapport.

« D'une manière générale, les systèmes fondés sur la nature sont plus complexes à mettre en œuvre et nécessitent plus d'heures de travail », pointent les députés, qui relèvent aussi le temps nécessaire pour leur mise en place, qui peut se compter en années. Et ce, alors que l'aide au maintien en agriculture bio a été supprimée dans la nouvelle Politique agricole commune (PAC), seule l'aide à la conversion, limitée à cinq ans au mieux, ayant été conservée. « En l'absence de soutien public d'ampleur et pérenne, de nombreux agriculteurs refusent légitimement d'endosser ce risque, d'autant plus lorsqu'ils se sont fortement endettés pour s'installer et doivent amortir leurs investissements (terres agricoles, machines coûteuses, cheptel pour les éleveurs, etc.) », relève la mission.

« C'est un choix d'homme libre, mais parfois, être libre, ça coûte cher », a ainsi témoigné Gaël Roulleau, agriculteur dans les Deux-Sèvres, à l'occasion d'un déplacement de la mission sur le terrain. La baisse des rendements en blé, de 6 à 4,5 tonnes par hectare après sa conversion à l'agriculture biologique en 2019, n'a pu être compensée par la baisse du coût des intrants, en raison de la baisse concomitante des cours du blé bio. Résultats ? Un chiffre d'affaires en baisse de 100 000 euros et une exploitation en déficit sur l'exercice 2022.

Modèle moins capitalistique et plus résilient

Mais les surcoûts apparaissent surtout durant cette phase de transition, et la mission souligne l'intérêt du modèle moins capitalistique et plus résilient des systèmes agroécologiques. En production conventionnelle, les coûts fixes sont très importants : équipements « toujours plus sophistiqués, grands et coûteux », dépendance à des intrants dont le prix a augmenté de 25,9 % en 2022, etc.

« Les modes de production agroécologiques qui s'appuient sur l'utilisation des services écosystémiques et des potentiels offerts par les ressources naturelles sont des modèles tendanciellement moins capitalistiques avec des coûts fixes et des consommations intermédiaires plus réduits, ce qui permet aux agriculteurs de dégager des marges plus importantes », a témoigné Sophie Devienne, chercheuse en agronomie à AgroParisTech, devant la mission.

En ce qui concerne la résilience, « la baisse des rendements peut être par exemple contrebalancée par l'augmentation de la diversité végétale », relèvent les députés. Et de citer l'exemple du système « zéro pesticides » en grandes cultures expérimenté pendant dix ans par l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae) à Grignon (Yvelines) et qui a abouti à « des niveaux de productivité équivalents à un système conventionnel témoin ». Une production de chanvre a notamment compensé la baisse des rendements du blé (- 22 %) et du maïs (- 31 %) résultant d'une diminution des apports d'engrais azotés.

Il reste maintenant aux députés à préciser leur proposition de « fonds assurantiel mutualiste » qui ne contient à ce stade aucun détail sur la façon dont l'industrie agrochimique serait mise à contribution (acteurs concernés, types de prélèvement, etc.), sur les agriculteurs bénéficiaires, ni sur le chiffrage du dispositif.

Tag(s) : #Agroécologie, #Agriculture
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