Un rapport officiel (1) sur la pollution par les microplastiques d'origine textile pointe le rôle déterminant de la fast fashion dans le phénomène. Pour y remédier, l'Inspection générale de l'environnement et du développement durable (l'Igedd) suggère de s'attaquer sérieusement à cette pratique. Le rapport, publié fin février, place la lutte contre la surconsommation en tête des priorités.
Toutefois, le service d'inspection du ministre de la Transition écologique ne propose pas de pénaliser financièrement les articles de la fast fashion pour ralentir le l'essor d'une mode éphémère que d'aucuns jugent être hors de contrôle. La mesure est pourtant au cœur de deux propositions de loi. Celle de députés Horizon a reçu le soutien du Gouvernement. Elle lui confie notamment le soin de fixer par décret les critères et le montant de la pénalité financière.
Une pollution durable longtemps ignorée
La pollution plastique d'origine textile est bel et bien avérée. Elle impacte « tous les milieux, sur toute la planète, y compris dans les milieux les plus reculés (Arctique et Antarctique, glaciers, coraux, fonds des océans, nappes d'eau souterraines) ». Et, bien qu'elle soit très difficile à mesurer, cette pollution est « durable ».
Mais, aujourd'hui, le sujet émerge puisque les fibres synthétiques représentent « les deux tiers du marché des fibres textiles : 62,1 millions de tonnes (Mt) (…) ont été produites (dont 54 Mt pour le polyester) en 2016 et 66 Mt en 2019 », rappelle le rapport, précisant que le textile est devenu le troisième secteur à utiliser du plastique (14,2 % de la demande), après les emballages et les bâtiments. Conséquence : « Le constat et l'ampleur d'une pollution par les microparticules plastiques issues du textile ne font pas débat. »
Une pollution dopée par la fast fashion
Surtout, si rien n'est fait, le phénomène devrait s'accentuer dans les années qui viennent. Le rapport met en lumière « l'augmentation considérable de la part des fibres synthétiques dans les produits mis sur le marché ». Depuis 1980, la production mondiale de coton est restée comprise entre 20 Mt et un peu moins de 30 Mt par an. Celle de fibres synthétiques a plus que triplé.
Cette progression s'accompagne d'une hausse du nombre de pièces achetées et d'une baisse de la part des vêtements dans le budget d'un ménage (elle est passée de 30 % des dépenses en 1950 à 3,1 % en 2020). Et cette multiplication des produits à bas coût porte un nom : la fast fashion. Pire, cette mode « devient de plus en plus éphémère (l'extra fast fashion) » en « [accélérant] la rotation des collections et [faisant] pression sur l'acte d'achat ».
Pour l'instant, les réglementations européennes et françaises ne s'attaquent pas réellement au sujet. Celui-ci est trop absent de textes, qui se focalisent essentiellement sur le recyclage, constate la mission, estimant que cela « impose d'agir sans tarder en application des principes de précaution et de prévention ».
Les filtres : une fausse bonne idée
« La capture des microparticules par des filtres dans les machines à laver le linge ou par les stations d'épuration lors du traitement des eaux usées ne permettra pas (…) l'élimination de l'intégralité des microplastiques », estime la mission. De plus, cela ne règle pas la question des résidus : « l'élimination des microplastiques captés par les filtres dans les lave-linges provoque un nouveau déchet [et] 80 % des microplastiques présents dans les boues d'épuration des eaux usées sont épandus dans les champs et de ce fait transférés dans les sols ». Surtout, cette solution « transfère indûment (…) la charge de la pollution sur des secteurs et acteurs économiques qui n'en sont pas responsables ».
Comment lutter contre cette pollution ? Paradoxalement, le rapport n'évoque pas la mesure au cœur des travaux parlementaires : pénaliser financièrement les articles des enseignes de fast fashion.
Sur ce sujet, le rapport rappelle que Refashion, l'éco-organisme de la filière de responsabilité élargie des producteurs (REP) de textiles, linges et chaussures (TLC), peut moduler les écocontributions des metteurs en marché en appliquant une pénalité aux produits dommageables pour l'environnement et une prime aux produits vertueux.
« Mais, actuellement, seules des écomodulations positives sont versées sous forme de primes aux producteurs » de textiles durables, labellisés ou incorporant de la matière recyclée. Pour autant, le rapport n'évoque pas une éventuelle pénalité appliquée aux articles de la fast fashion.
Lutter contre la surconsommation
En l'occurrence, l'Igedd plaide pour « une réponse globale, appuyée sur l'ensemble du cycle de vie du produit, [seule] susceptible de donner des résultats dans une échelle de temps acceptable ». Il faut agir sur la production des vêtements, lors de leur usage (air et eaux de lavage qui contaminent les eaux et les sols) et lors de leur fin de vie. Au total, onze recommandations sont proposées et classées en neuf priorités.
La priorité est la « [lutte] contre la surconsommation textile » en communiquant sur l'impact environnemental des textiles synthétiques et en impliquant des producteurs grâce à la REP. Par exemple, le seuil de présence de fibres synthétiques déclenchant une information du consommateur pourrait par exemple être abaissé à 5 % (contre 50 % aujourd'hui). L'implication des producteurs pourrait passer par un soutien accru de Refashion aux fibres naturelles.
Le rapport suggère ensuite d'assurer le réemploi et la réparabilité des textiles. Pour cela, il faudrait modifier le cahier des charges de Refashion « pour lui fixer des objectifs de collecte, de tri, de réemploi et de réparation des textiles synthétiques, plus ambitieux que pour les autres textiles ».
Prélaver les textiles avant de les vendre
Et en troisième position, on retrouve l'amélioration des connaissances pour mieux quantifier la pollution dans les milieux (notamment sols et air), la provenance des microplastiques selon les tissus, et les possibilités de captation.
La captation des microplastiques grâce à des filtres sur les machines à laver n'apparaît qu'en sixième et septième priorités. Le rapport suggère en particulier d'imposer aux distributeurs des prélavages et une filtration des eaux avant la mise en rayon (l'essentiel des émissions provient des premiers lavages). S'agissant des boues d'épuration, si les filtres peuvent être renforcés dans les zones sensibles, le rapport recommande surtout de limiter l'épandage des boues dont la contamination par les microplastiques est avérée.
En bas de la liste des priorités figure aussi l'interdiction des exportations de produits textiles synthétiques comme déchets dans les pays tiers qui ne peuvent pas les gérer.