Il a reçu une éducation gratuite, obtenu un diplôme universitaire, décroché un travail et souhaite que les «étrangers n’interviennent pas dans la vie normale» qu’il mène avec sa famille. Un quart de siècle après sa disparition forcée, les autorités chinoises ont donné mardi de rarissimes (et très succinctes) nouvelles de Gedhun Choekyi Nyima. Cet homme de 31 ans dont l’identité actuelle reste mystérieuse mènerait donc une existence paisible à Pékin.

Son histoire n’a pourtant rien de banal. Le 17 mai 1995, le dalaï-lama le désigne comme réincarnation du panchen-lama, deuxième plus haut chef spirituel du bouddhisme tibétain. Trois jours plus tard, Gedhun, fils de pasteurs nomades alors âgé de 6 ans, est kidnappé par la Chine communiste qui, depuis, le tient au secret.

A l’approche du 25e anniversaire de sa disparition, des associations des droits de l’homme et des dirigeants ont exhorté les autorités chinoises à divulguer la localisation du panchen-lama, qui tient un rôle majeur dans le processus de désignation du prochain leader spirituel. «L’enlèvement du panchen-lama par la Chine et le déni délibéré de son identité religieuse et de son droit à pratiquer dans son monastère n’est pas seulement une violation de la liberté religieuse, mais aussi une violation flagrante des droits de l’homme», a déploré dimanche dans un communiqué le gouvernement tibétain en exil.

Adoubement. Washington s’est aussi saisi du dossier, par la voix de son secrétaire d’Etat. «Les bouddhistes tibétains, à l’image des membres de toutes les communautés de foi, doivent pouvoir choisir, éduquer et vénérer leurs chefs religieux selon leurs traditions et sans ingérence du gouvernement», a souligné lundi Mike Pompeo, ajoutant que les Etats-Unis restaient «profondément inquiets de la campagne continue de la Chine pour éliminer l’identité religieuse, linguistique et culturelle des Tibétains».

Alors que les tensions ne cessent de se renforcer entre Pékin et Washington, notamment sur la gestion de l’épidémie de coronavirus, le Sénat américain devrait se pencher prochainement sur le Tibetan Policy and Support Act, entériné en janvier par la Chambre des représentants. Le projet de loi explicite que le successeur du dalaï-lama doit être désigné par la communauté tibétaine sans interférence du gouvernement chinois, et prévoit des sanctions contre les dirigeants qui ne le respecteraient pas.

Car après l’enlèvement de l’enfant nommé par le dalaï-lama, Pékin avait désigné son propre panchen-lama, Gyancain Norbu. Ce dernier est membre de l’assemblée consultative du Parlement chinois, un organe symbolique sans pouvoir réel. Lors de son élection à la vice-présidence de l’association bouddhiste en Chine, en 2010, il déclarait vouloir «défendre le leadership du Parti communiste chinois, adhérer au socialisme, sauvegarder la réunification nationale, renforcer l’unité ethnique et étendre les échanges bouddhistes sur la base du respect de la loi et de l’amour pour la nation et le bouddhisme».

Le candidat de Pékin n’a pas reçu l’adoubement des Tibétains, tandis que la Chine ne reconnaît plus l’autorité du dalaï-lama Tenzin Gyatso depuis qu’il s’est exilé en Inde en 1959, chassé par l’intervention militaire de Pékin. Le pouvoir central entend jouer la carte Norbu dans la nomination du prochain dalaï-lama, alors que l’actuel leader spirituel a 84 ans. «La réincarnation des bouddhas vivants, y compris le dalaï-lama, doit se conformer aux lois et règlements chinois et suivre les rituels religieux et les conventions historiques», déclarait Pékin l’an dernier après l’hospitalisation du dalaï-lama, qui avait soulevé des interrogations quant à sa succession.

Répression. «A l’avenir, au cas où vous verriez deux dalaï-lamas, l’un d’ici, un pays libre, l’autre choisi par les Chinois, alors personne ne fera confiance, personne ne respectera [celui choisi par la Chine]. C’est donc un problème supplémentaire pour les Chinois ! C’est possible, cela peut arriver», expliquait l’an dernier le Prix Nobel de la Paix 1989 à Reuters. Reconnu dalaï-lama en 1939, à 4 ans, Gyatso entretien le flou sur sa réincarnation, n’excluant pas l’idée d’être le dernier à occuper cette fonction, car «si l’on n’a pas la garantie qu’un stupide dalaï-lama ne viendra pas après moi, il vaut mieux que la tradition cesse». Rêvant de vivre jusqu’à 113 ans, il avait affirmé attendre ses 90 ans pour consulter les autres moines sur l’éventualité de continuer sa lignée.

Depuis le départ forcé du dalaï-lama, Pékin ne cesse de renforcer sa répression dans la région autonome du Tibet. Le 1er mai, une loi sur «l’unité ethnique» entrait en vigueur. «Elle exige de tous les échelons du gouvernement, mais aussi de tous les villages, les entreprises privées, les écoles, les centres religieux, etc., de travailler ensemble pour renforcer l’unité ethnique et lutter contre le "séparatisme" (en réalité toute manifestation d’intérêt pour la culture, la religion et la langue tibétaines, le dalaï-lama, et bien sûr l’indépendance, etc.). Elle est même utilisée pour encourager les mariages entre Hans et Tibétains», écrivait le 15 mai Katia Buffetrille, tibétologue à l’Ecole pratique des hautes études (EPHE), dans une tribune sur Libération.fr.

Stéphanie Gérard