Marcel Bayod interviewé par Jacques Hennebois de la Gazette du Comminges
Une émouvante cérémonie s’est déroulée à Salies du Salat ce dimanche 26 avril 2015, lors de la journée nationale de la déportation. Marcel Bayod, seul déporté salisien pendant la deuxième guerre mondiale a assisté à l’inauguration de la plaque mémoire de l’évènement et portant son nom par Jean-Pierre Duprat et son conseil municipal, la famille et les amis de Marcel Bayod, les porte-drapeaux, les représentants de la gendarmerie des sapeurs pompiers et des associations locales.
Dès 1933 des camps de concentration sont créés en Allemagne afin de permettre aux nazis de contrôler tous leurs opposants. A partir de 1942 des camps d’extermination tels Auschwitz, Birkenau, Buchenwald, Treblinka se développent sur tout le territoire. Cela va permettre d’éliminer des milliers de victimes dans les chambres à gaz. Les plus valides des déportés étaient employés sur des sites industriels liés à ces camps, mais le plus souvent rapidement tués. Beaucoup de ces camps étaient situés en Pologne ou à l’est de l’Allemagne.
L’arrestation
La Gazette : « Marcel Bayod, vous n’étiez ni juif, ni rom, ni résistant, ni opposé au régime nazi. Que s’est-il passé pour que vous soyez déporté ?
MB : Je vivais à Salies chez mes parents et je travaillais comme apprenti coiffeur au salon Portet. Avec mes copains dont Pépé Beteta, nous avions l’insouciance de notre âge. Le football, quelques espiègleries, tout se passait bien. J’avais rencontré Claudine, une réfugiée de mon âge arrivée de La Rochelle. C’était ma petite amie. Tout a basculé au matin du 24 juin 1944. J’ai été interné à l’âge de 17 ans à la suite d’un attentat contre un soldat allemand. L’avant-veille, il y avait eu au Café Bleu une réunion de résistants. Les allemands l’ont su. Ils ont fait une descente et ramassé tout le monde, patrons compris. Ils ont mis un soldat de garde devant la porte, mais dans la nuit il a été descendu. Le matin du 24 avril, mon patron m’avait demandé d’ouvrir le salon. En arrivant j’ai rencontré deux copains et nous avons bavardé et c’est là que nous avons été arrêtés. On n’était pas dans le coup mais on s’est trouvé au mauvais endroit au mauvais moment. Par chance, pour nous et pour les Salisiens, le soldat tué était alsacien car si ça avait été un officier, les allemands auraient appliqué leur règle : un officier abattu, cinquante otages fusillés. Tout ça, je l’ai su à mon retour. J’ai donc été arrêté à Salies du Salat et enfermé à la prison de Saint-Girons, puis à Toulouse et enfin à Compiègne. De là, j’ai été envoyé dans le camp de Neuengamme près de Hambourg .
La vie en captivité
La Gazette : Comment se passait la vie dans le camp ?
MD : Dans ce camp ont vécu plus de 100 000 prisonniers de 28 nationalités différentes. Ils devaient effectuer un travail forcé pour la production d'une briqueterie qui se trouvait sur son terrain, et plus tard dans l'industrie de l'armement et la construction d'installations militaires dans des conditions de vie et de travail inhumaines. Environ 55 000 en sont mortes. Cela correspondait bien au slogan inscrit à l’entrée du camp : « Vernichtung des Häftlings durch Schwerarbeit », qui peut se traduire par « Destruction du prisonnier par le travail. ». Lever 5h du matin et pour le petit déjeuner nous avions un ersatz de café, de l’eau chaude avec des glands de chêne, et une tranche de pain. A midi, c’était 1 L d’eau chaude avec des feuilles de chou ou des betteraves et le soir, deux tranches de pain avec un peu de margarine et une tranche de saucisson. Et avec ça, il fallait travailler 12 heures. Et il y avait la « schlage », les coups pour ceux qui ne travaillaient pas assez vite. Et les morts d’épuisement qu’il fallait évacuer par dizaines… J’ai eu la chance d’avoir pu continuer mon métier de coiffeur et avec mon rasoir et mes ciseaux, je pouvais circuler assez librement et aller aux cuisines où j’avais quelques faveurs.»
La Gazette : « Combien de temps êtes-vous resté dans le camp ?
J’y suis resté jusqu’au 14 mois jusqu’à ce que les allemands nous envoient sur les routes. On appelait cela les marches de la mort. Je faisais partie d’un commando de Neuengamme qui avait été envoyé à Wilhemshaven. Le 5 avril on a pris la route pour revenir à Neuengamme où nous devions être exterminés dans un four crématoire. On a erré pendant environ un mois et nous avons fait 350 km à pied à raison de 25 à 30 km par jour. Ceux qui ne pouvaient pas suivre étaient abattus et on les enterrait sur les bords des routes et je peux dire que des morts, il y en a eu. A Hambourg, on nous a stoppés car le camp de Neuengamme avait été évacué et le ménage avait été fait. De là on nous a mis dans des wagons à bestiaux. Nous avons encore été bombardés et obligés de repartir à pied. Je me rappelle avoir couché dans une ferme sur de la paille sous laquelle il y avait des pommes de terre. Nous n’avons pas dormi et pendant toute la nuit nous avons mangé le stock de pommes de terre. De là on nous a emmenés dans le stalag 10B qui était un camp de prisonniers de guerre dont une partie avait été affectée aux déportés. Là, c’était l’horreur. Il y avait des cadavres partout, des piles de morts. Des squelettes vivants complètement décharnés, la peau et les os, se traînaient pour boire dans une mare. Nous avions tous la dysenterie. C’était horrible. C’est aussi là que j’ai vu des actes de cannibalisme. Je crois que c’étaient des russes qui dépeçaient les maccabées pour manger. C’est indescriptible, il faut l’avoir vécu pou le croire. A la suite de ça, un matin, on a demandé aux français, aux belges et aux hollandais de se présenter à la porte pour évacuer. Il y a eu la panique car les russes, les polonais voulaient aussi s’en aller. Dès qu’on a été sur la route il y a eu une fusillade et on comptait les morts par centaines. Il faisait beau, c’était fin avril. On est monté dans des wagons à bestiaux. On ne savait pas où on allait et il n’y avait pas deux heures qu’on était dans le wagon que nous avons été mitraillés par six avions anglais. Une nouvelle fois, ça a été l’hécatombe. Nous nous sommes cachés dans un petit bois et à la nuit tombante on est repartis dans des wagons pleins de sang et de morceaux de chair. De là on nous a emmenés sur un bateau, un charbonnier, et ça a été encore un calvaire. Nous sommes restés dans la cale cinq jours sans boire et sans manger. Tous les matins on montait les morts sur le pont. On avait la dysenterie et nous étions remplis de poux. Au bout de cinq jours les plus valides ont repris le train pour Flensburg, la dernière ville allemande qui n’était pas occupée. Là aussi, bombardement de la gare par les alliés. Le lendemain on s’est trouvés libérés. On croyait au Père Noël car deux jours après les allemands sont revenus et nous ont embarqué sur des péniches qui devaient être coulées. J’ai appris plus tard que nous avons eu la vie sauve grâce au comte Bernadotte de Suède qui nous a marchandés mais je ne sais pas contre quoi, certainement des médicaments. Un bateau suédois est venu nous chercher et nous nous sommes retrouvés en Suède.
La délivrance
La Gazette : C’était la libération ?
MB : Oui, mais je n’ai pas pu en profiter tout de suite. Pendant toutes ces pérégrinations, avec les poux, j’avais attrapé le typhus et j’ai été hospitalisé et je suis resté quinze jours dans le coma. Ensuite je suis allé en convalescence au bord de la mer où nous avons été soignés comme des rois. Je dois la vie aux suédois. En arrivant en Suède je pesais 30 kilos. Nous avons été accueillis par la Croix Rouge et du chocolat chaud le 11 mai alors que la guerre était finie depuis le 8 mai.
La Gazette : « Avez-vous eu pendant votre déportation l’espoir d’être libéré par les alliés ?
MB : bien sûr, on entendait le bruit des canons, mais on se doutait que le s allemands voulaient exterminer tous les déportés pour qu’il n’y ait pas de témoins. Je suis heureux de me retrouver ici 70 ans après. Pourtant J’ai quitté la Suède sans avoir vu une seule troupe alliée. Depuis, une question me revient souvent : pourquoi je m’en suis sorti et pas mes camarades alors qu’il y avait entre nous une solidarité de tous les instants. Une bonne étoile avait veillé sur moi»
La Gazette : Comment s’est effectué votre retour à Salies ?
MB : Après ma convalescence, je suis parti de Suède en avion pour Paris puis train jusqu’à Salies. A la gare toute la population était là pour m’accueillir. J’étais le seul déporté de Salies. Mes parents étaient restés sans nouvelles jusqu’à ce que j’écrive de Suède. Claudine, ma petite amie, travaillait à la poste et lorsqu’elle a reconnu mon écriture sur une enveloppe, elle s’est évanouie. Elle a ensuite porté la bonne nouvelle à mes parents. Il a ensuite fallu se reconstruire et mes parents m’ont dorloté. Claudine et ses parents sont repartis en Charente. Comme je n’avais pas de travail elle m’a trouvé une place chez un coiffeur. Je l’ai rejointe et puis nous nous sommes mariés et je suis resté à La Rochelle.
Message d’espoir
La Gazette : avez-vous quelque chose à rajouter ?
MB : Je vais souvent dans les lycées et collège témoigner de ce qui m’est arrivé. Je l’ai même fait en Allemagne où les jeunes ont été très réceptifs. Je dis il ne faut pas oublier ce qui s’est passé. Attention au nationalisme. Il ne faut pas se laisser bercer par de belles paroles. Rejetez la xénophobie, l’antisémitisme et le racisme. Faites que tout le monde vive en paix. »