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PLANTES ET VÉGÉTAUX
REPORTAGE. Reforester l’Amazonie, le pari fou du Pérou

Dans la région de Madre de Dios, au Pérou, la reforestation de zones dévastées par les mines d’or passe de la recherche au terrain. Une réserve nationale est la première à se lancer dans l’aventure. Un reportage extrait des "indispensables" de Sciences et Avenir, numéro 201. Par Marie-Laure Théodule et Olivier Donnars.

L’orpaillage illégal a détruit près de 100 000 hectares de forêt dans la région de Madre de Dios, au sud-est du Pérou. Les chercheurs d’or ont laissé derrière eux un long cordon de sols vidés de matière organique et troués d’une ...

L’orpaillage illégal a détruit près de 100.000 hectares de forêt dans la région de Madre de Dios, au sud-est du Pérou. Les chercheurs d’or ont laissé derrière eux un long cordon de sols vidés de matière organique et troués d’une multitude d’étangs pollués au mercure.

 

Cet article est extrait des "indispensables" de Sciences et Avenir, numéro 201, intitulé "La vie secrète de la forêt".

 

C'est une première au Pérou ! s'exclame Vladimir Ramirez. Nous commençons à reboiser une forêt tropicale protégée en appliquant une nouvelle méthode scientifique. " Tout enthousiaste soit-il, le directeur de la réserve nationale Tambopata reconnaît que le pari est un peu fou : " Notre but est de restaurer, en trois ans, 30 hectares d'un sol détruit par l'orpaillage illégal, uniquement avec des espèces natives, dans un lieu de surcroît très difficile d'accès… " Mais rien n'arrêtera les gardes forestiers de ladite réserve, située au sud-est du pays, dans le département de Madre de Dios, aux confins de la Bolivie et du Brésil. Une détermination qui a gagné la communauté A8, cinquante familles d'anciens mineurs restées isolées dans la zone tampon entre la réserve et la route interocéanique reliant le Pacifique à l'Atlantique. " La forêt est un bien commun de l'humanité ! clame avec conviction José C., jeune habitant de ce “village” champignon. Avant j'étais orpailleur, aujourd'hui, j'améliore les pistes. Et demain, je veux restaurer ! "

Trop belle pour être vraie, cette déclaration ? Pas sûr car, privée de travail depuis qu’il n’y a plus de mines sur son territoire, la communauté s’intéresse désormais à l’environnement. Et la réserve Tambopata est un endroit magique, où les touristes épris de nature viennent en bateau depuis la capitale du département, Puerto Maldonado. Car ce petit bout d’Amazonie péruvienne héberge une biodiversité unique au monde : pas moins de 1847 espèces de plantes, 755 d’oiseaux et 259 de poissons. Hélas, elle abrite aussi quantité de mines illégales.

Un désert troué de 30.000 étangs pollués au mercure

Depuis le milieu des années 2000, le Madre de Dios connaît une véritable ruée vers l’or, depuis les Andes voisines où le travail manque. L’envolée du cours du précieux métal (+ 500 % entre 2000 et 2013) et la construction de la route interocéanique attirent ces orpailleurs. Sous la coupe de barons mafieux, ils créent une ville clandestine, véritable zone de non-droit, La Pampa, à une centaine de kilomètres de Puerto Maldonado. Même la police n’ose y pénétrer. Si certains mineurs tentent leur chance en raclant le fond des rivières, la plupart ravagent la forêt à grand renfort de pelleteuses, creusant de gigantesques excavations d’où ils extraient l’or à l’aide de mercure.

« Ils ont détruit la bagatelle de 100.000 hectares de forêts depuis 1985 », regrette Hauke Hoops, directeur de l’antenne péruvienne de la Frankfurt Zoological Society (FZS), une ONG allemande qui contribue à la préservation des espèces dans les aires naturelles protégées. Il ajoute : « Après avoir envahi la zone tampon, les mineurs ont fini par pénétrer carrément dans la réserve en 2015 : ils y ont saccagé 759 hectares de forêt primaire. » Après leur passage, tout n’est que désolation. « Ils ont transformé la forêt en un véritable désert troué de 30 000 étangs pollués au mercure. Une menace pour la biodiversité, car les insectes et les oiseaux viennent s’y abreuver », déplore Luis Fernandez. Le directeur exécutif de Cincia, centre de l’innovation scientifique en Amazonie créé en 2016, à Puerto Maldonado, par l’université de Wake Forest (États-Unis), rappelle que cette déforestation massive laisse « les sols complètement lessivés par les pluies tropicales. Ils se retrouvent dépourvus de tout nutriment, à tel point qu’ils n’arrivent même pas à fixer le mercure ».

300 militaires et 1200 policiers pour chasser les mineurs illégaux

Comment arrêter le massacre et restaurer la magnifique forêt tropicale, poumon vert du pays ? C’est à ce défi que se sont attaqués d’un côté les ministères de la Défense et de l’Environnement péruvien, avec le Service national des espaces naturels protégés (Sernanp) et la FZS, de l’autre un département de Cincia. Les opérations se sont déroulées en plusieurs phases. Première étape : l’éradication des mines. Après s’être contenté de quelques interventions sans lendemain, le gouvernement péruvien a décidé d’employer les grands moyens. En 2017, la marine - au Pérou, c’est elle qui protège les rivières - et le Sernanp parviennent à bouter les mineurs hors de la réserve, à partir de deux postes de surveillance renforcés avec l’aide financière de la FZS : le point Azul et Orotongo. Puis, en février 2019, le gouvernement déclenche l’opération Mercurio : 300 militaires et 1 200 policiers sont dépêchés à La Pampa pour chasser les mineurs illégaux de la zone tampon. La ville, qui comptait près de 30 000 habitants, n’en dénombre plus que 2 000. « Heureusement, le gouvernement a laissé cette fois des forces sur place. C’est indispensable si l’on veut éviter que les mineurs reviennent », souligne Hauke Hoops.

En parallèle, l’université Wake Forest a demandé à Cincia d’élaborer une méthode pour restaurer les sols appauvris par l’extraction minière dans la région et les reboiser de manière pérenne. Les travaux expérimentaux ont commencé dès 2016, avec l’aide financière du WWF (World Wildlife Fund) puis de l’agence américaine USAID. « Après avoir fait pousser différentes espèces dans une pépinière forestière, nous les testons sur une aire expérimentale de 42 hectares répartis sur 19 sites différents, explique France Cabanillas, coordinateur du programme de restauration de Cincia. Car ici, tous les sols ne sont pas dégradés de la même manière. Et les objectifs de reforestation ne sont pas tous identiques : les rangers de la réserve protègent les espèces natives quand les sylviculteurs s’intéressent aux essences commercialisables et les agriculteurs aux arbres fruitiers. » La méthode développée par les chercheurs est suffisamment générique pour s’adapter à ces différents objectifs : étude de la dégradation de l’écosystème à l’aide de drones et de prélèvements, plan de la restauration, suivi pendant trois ans de la repousse. Le tout pour un coût de 2800 dollars par hectare. L’un des points forts du procédé consiste à enrichir le sol avec du biocharbon, ou biochar, au moment où les jeunes pousses élevées en pépinière sont transplantés à leur emplacement définitif. Un amendement tout ce qu’il y a d’écologique et d’économique, produit à partir de biomasse : il consiste ici à faire chauffer dans des fûts, à 350°, des coques de noix du Brésil, très abondantes dans la région. En deux heures, la pyrolise de 40 kg de biomasse produit 15 kg de biochar.

En 2018, un accord a été signé entre les responsables de la réserve Tambopata, le Sernanp et Cincia. Objectif : tester cette méthode pour reboiser une parcelle d’arbres protégés. Il faut alors sélectionner uniquement des espèces natives, ce qui en limite le nombre : « En 2018, nous avons conduit avec Cincia une expérience pilote sur une parcelle de 5 hectares, où nous avons testé quatorze espèces natives ; deux sont mortes au bout d’un an. Nous n’en avons donc retenu que douze pour la phase opérationnelle », explique Vladimir Ramirez. Il faut aussi renoncer au bio-charbon au profit d’engrais plus classiques. En effet, le dosage optimal est de 1 kg de biochar par plant ; il aurait donc fallu en acheminer 30 tonnes pour les 30 000 plants (dont 20 000 fournis par la pépinière de Cincia) nécessaires au reboisement des 30 hectares de la réserve. Impossible, vu les conditions de transport dans la zone tampon.

Le chemin de la reforestation n’est en effet pas de tout repos ! Des pépinières jusqu’au kilomètre 98 de la route interocéanique, une camionnette classique fait l’affaire. Mais ensuite, il faut charger les plants sur le plateau arrière de motocars tout-terrain, capables de progresser sur une piste peu marquée, tour à tour sableuse, empierrée ou gorgée d’eau, et barrée de ponts en bois incertains. Une fois parvenue sur la rive du rio Malinowski, frontière entre la zone tampon et la réserve, la précieuse cargaison doit être embarquée sur des pirogues au moteur parfois récalcitrant, puis débarquée sur d’autres motocars qui rejoindront, enfin, l’aire de 30 hectares concernée par le reboisement. « Heureusement que la piste - une ancienne voie tracée à la hache dans la forêt par les mineurs - a été améliorée, notamment par des habitants de A8, grâce aux fonds de la FZS », souligne Hauke Hoops. Sans ce préalable, l’opération de restauration n’aurait jamais pu commencer… Car si tout le monde se montre prêt à retrousser les manches, le manque d’argent ou les coupes budgétaires soudaines du ministère de l’Environnement, qui finance l’opération Tambopata, se font parfois cruellement ressentir.

Alterner espèces pionnières et essences de croissance lente

Les 30.000 jeunes arbres ont néanmoins été livrés et plantés en décembre 2019, non loin du point Azul. Et le chercheur France Cabanillas croise les doigts. Maintenant que le reboisement est passé en phase opérationnelle, son bébé lui échappe un peu. Il espère que les ouvriers, plus ou moins formés à la restauration, ont bien disposé les plants selon le modèle ANP (aire naturelle protégée) prescrit par Cincia. Ledit modèle consiste à espacer les plants de trois mètres et à alterner des lignes de couverture, composées d’espèces pionnières qui poussent vite (quatre à cinq ans) comme le pashaco (Schizolobium amazonicum), et des lignes de diversité constituées d’espèces plus lentes, dites secondaires, comme le shihuahuaco (Inga sp) ou le kapokier (Ceiba pentandra). L’objectif est que ces dernières, qui croissent en 50 ans ou plus, puissent se développer à l’ombre des pionnières.

Un pari sur l’avenir, célébré en grande pompe par le Président

Car le soleil est ici l’ennemi des jeunes pousses : la température peut s’élever jusqu’à 50 °C à la saison sèche. Dans les forêts tropicales, les arbres grandissent généralement à l’abri de la canopée. Pour repeupler des terres déforestées, la solution consiste à sélectionner des espèces capables de supporter un rayonnement agressif. Et à les planter durant la saison des pluies, de novembre à avril : le taux de mortalité y est bien plus faible, 6 %, quand il peut atteindre 40 % à la saison sèche.

Mais le soleil n’est pas le seul problème : les plants doivent aussi s’enraciner dans un sol dégradé sur parfois deux mètres de profondeur. C’est pourquoi, en pépinière, Cincia fait pousser les semis dans de longs tubes en plastique qui orientent les racines vers le bas. À Tambopata, bioengrais et humus remplacent le biocharbon pour enrichir la terre en matière organique. Il faut alors surveiller la pousse pendant un à deux ans, et faire des prélèvements biologiques dans les sols (matière organique, texture, acidité) pour contrôler la qualité de la restauration, si l’on veut que les espèces secondaires se développent. Car, parfois, « les espèces pionnières poussent trop vite pour que le sol s’améliore », observe France Cabanillas. Pour lui, passer de la phase expérimentale sur un site pilote à cette phase opérationnelle reste un pari sur l’avenir.

Un pari célébré en grande pompe le 5 décembre dernier. Ce jour-là, tous les Péruviens ont tourné les yeux vers ce bout de terre perdu : le Président Martín Vizcarra et la ministre de l’Environnement Fabiola Muñoz y ont planté le premier arbre, symbole d’espoir. « Reforestation ! » Les habitants de A8 n’ont que ce mot à la bouche : « Vous nous avez enlevé du travail en détruisant La Pampa. Donnez-nous en avec la forêt ! » Vladimir Ramirez s’en réjouit : « La restauration totale de Tambopata avec les ex-mineurs de A8 pourrait servir de modèle à toute la région. » Encore faudra-t-il que l’État engage les moyens nécessaires, et que l’opération Tambopata soit couronnée de succès. Rendez-vous dans trois ans !

*Pour ce reportage, Marie-Laure Théodule et Olivier Donnars ont bénéficié de la bourse EJC (European Journalism Center) de la Fondation Bill et Melinda Gates.

Tag(s) : #Environnement, #Amazonie
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