Interview. Confiné en région Centre-Val de Loire, Stéphane Bern fait voyager les Français à sa manière, à la radio, à la télévision et sur les réseaux sociaux. À Point de Vue, il confie son quotidien, ses espoirs... Et son admiration sans faille pour Élisabeth II.
Comment se passe le confinement pour vous? Où êtes-vous? Que faites-vous?
Je suis dans mon village, à Thiron-Gardais [en région Centre-Val de Loire]. J’étais venu voter et je suis resté. J’ai la chance d’avoir un jardin. Je ne sors pas de la maison mais je peux profiter de mes chiens, de mes poules, de mes chèvres...
De 11h30 à 12h30, j’anime toujours mon émission, en direct sur RTL, depuis mon bureau. J’ai un micro, tout le matériel… En cette période de confinement, le format a un peu changé: j’essaie de proposer un programme à la fois culturel et divertissant, avec des invités au téléphone, comme Nana Mouskouri ou Anne Goscinny…
C’est une manière de remonter le moral aux Français?
C’est vrai qu’on s’interroge tous sur le rôle qu’on peut jouer dans ces moments-là. Il faut être modeste et humble. Je n’ai pas inventé de vaccin, je n’ai pas sauvé de vie, je ne suis ni soignant, ni aide-soignant, je ne travaille pas dans la grande distribution… En revanche, j’essaie de faire passer certains messages, valoriser les initiatives, susciter la générosité des Français. Les personnes que j’ai à l’antenne me disent: "Merci, vous nous donnez un peu d’espoir, un peu de sourire".
Ce n’est pas grand-chose, honnêtement, mais j’essaie de le faire le mieux possible. Je suis très heureux, par exemple, que les Secrets d’Histoire soient diffusés, qu’on puisse les mettre en ligne gratuitement de telle sorte que le plus grand nombre puisse les voir, même depuis l’étranger, ce qui est une nouveauté.
Justement, le tournage des épisodes de Secrets d’Histoire a été arrêté. Comment est le moral de l’équipe?
Le moral de l’équipe est plutôt bon même si on trépigne tous d’impatience. Nous avions prévu fin mars un tournage en Italie, c’est le premier qui a été annulé. Nous devions tourner au palais royal de Turin, mais également plus tard au Kremlin. Nous avions même le feu vert de la Maison Blanche! Tout est mis entre parenthèses. Je dis aux équipes: "On va vite se retrouver, n’ayez crainte".
En réalité, l’essentiel est ailleurs. On se préoccupe tous de la santé de nos proches, on prend des nouvelles les uns les autres, c’est ça qui est important. Nos priorités changent. À quoi ça sert de faire un nombre d’émissions record, d’en faire toujours plus, de toujours courir? Cette épreuve collective nous invite à repenser nos relations aux autres. Que puis-je faire pour aider les autres?
Comment avez-vous trouvé le discours d’Élisabeth II?
J’ai été assez ému par cette allocution. J’ai trouvé qu’elle avait des mots très personnels, c’était tout à fait elle. C’était magnifique, à la fois sur la forme et sur le fond. Elle était vêtue de vert, la couleur de l’espoir et de la guérison; elle portait la broche de sa grand-mère la reine Mary, connue pour avoir été un roc dans la tempête. Elle n’a pas donné de leçon. Pas une seule. Elle a remercié les soignants, les forces vives, ceux qui font vivre le pays. Et puis elle a exalté les vertus de l’autodiscipline, de la camaraderie… Tout ce qui fait le flegme britannique finalement. En affirmant que, si nous nous en donnons les moyens, les générations futures pourront regarder la nôtre sans avoir honte.
C’est incroyable! Voilà une femme qui va avoir 94 ans le 21 avril prochain, qui a 68 ans de règne derrière elle, qui a déjà été confinée au château de Windsor en 1940… Et qui continue de rassurer! Elle a d’ailleurs rappelé avec beaucoup d’intelligence que le Royaume-Uni a connu des heures tout aussi sombres et qu’il s’en est toujours sorti.
Quand elle conclut d’un magistral "Nous nous reverrons", il s’agit en fait d’une référence à une chanson de la guerre, "We’ll meet again" chantée par Vera Lynn. Je trouve cela magnifique.
Vous pensez que cette intervention portera ses fruits?
Bien sûr! Trois Britanniques sur quatre ont regardé la reine et 82% d’entre eux ont déclaré dans un sondage avoir retrouvé espoir. Rien qu’en France, nous avons été 2,5 millions à écouter ce discours. Ce n’est pas rien.
D’ailleurs, au-delà d’Élisabeth II, ce qui me frappe en ce moment c’est de voir combien la parole politique quotidienne est démonétisée… Par contre, dès qu’une figure symbolique prend de la hauteur, comme le roi d’Espagne Felipe VI ou le roi de Suède Carl XVI Gustaf, cette parole compte. Les souverains n’ont pas de pouvoir politique si ce n’est celui des mots. En ce moment, nous redécouvrons la parole royale, ou du moins la parole arbitrale, très loin des polémiques vaines.
Aujourd’hui, l’urgence c’est de sauver des vies. Mais si on regarde l’avenir, des pans entiers de l’économie vont être durement touchés. C’est le cas du tourisme, de la culture et du patrimoine. Que vous disent les professionnels de ces secteurs?
Tout le monde est très inquiet, c’est certain. Dans le cadre de ma mission patrimoine, je devais annoncer dans les prochaines semaines les monuments éligibles pour le tirage du loto 2020… Pardonnez-moi l’expression, mais j’ai un peu l’impression d’être à côté de la plaque! Même si le secteur du tourisme représente 500 000 emplois, je me sentirais complètement en décalage si je venais parler du loto alors que des vies humaines sont en jeu, que les gens souffrent. Moi-même j’ai des proches qui sont hospitalisés. On s’inquiète tous les jours, on est sur le qui-vive. Et d’un autre côté, il est vrai, la vie ne s’arrête pas. Elle ne doit pas s’arrêter.
Dans ces conditions, comment aider les acteurs du patrimoine?
En soutenant des initiatives, comme celle de la plateforme Patrivia et des jeunes acteurs du réseau Patrimoine 2.0., qui ont lancé l’opération "Cet été je visite la France". L’idée est simple: convaincre les Français de partir en France cet été. Même si nous sommes confinés, je vois bien dans mon village que les gens se demandent comment ils vont faire. Partir en France, ce sera les soutenir.
Vous pensez que les Français suivront?
Je le crois. Quand nous sortirons de cette période de confinement, aurons-nous envie de nous entasser à trois cents dans un avion pour l’étranger? Je pense que les Français vont avoir besoin de retrouver le chemin de l’espoir et qu’ils ne voudront pas ajouter à une catastrophe sanitaire une catastrophe économique. Il en va de notre avenir commun.
La France a mille ans d’histoire, elle a connu des crises graves, des disettes. En 1957, l’épidémie de grippe asiatique faisait 100 000 morts dans notre pays. La France s’est relevée. C’est facile à dire, j’en ai conscience. Mais je pense qu’on aura besoin de redécouvrir la France… D’autant qu’il va falloir se substituer aux touristes étrangers qui ne vont pas nous rendre visite.
Et puis cet été nous aurons certainement envie de prendre le temps, d’être plus à l’écoute, de réfléchir. Trop souvent, nous nous surestimons. Nous maltraitons les animaux domestiques, la faune sauvage, l’environnement. Nous ne pouvons plus faire l’économie d’une réflexion intérieure, collective, sur la société dans laquelle nous vivons.
Auriez-vous quelques conseils de lectures, de films ou de séries pour un confinement sous le signe de la culture?
Personnellement, j’ai profité d’un peu de temps libre pour m’intéresser plus en profondeur à la cathédrale Notre-Dame de Paris. J’ai lu le livre de Monseigneur Chauvet, Notre-Dame d’Espérance mais aussi Notre-Dame, l’âme d’une nation, d’Agnès C. Poirier, qui vient de sortir chez Flammarion. Je conseille également l’autobiographie de Renaud Capuçon, Mouvement perpétuel. Et j’ai dévoré le dernier roman de Philippe Séguy, Et passe le souffle des dieux, qui nous plonge en l’an mille. Passionnant. Tout comme Le flambeur de la Caspienne, de Jean-Christophe Rufin.
Côté cinéma, j’ai enfin vu le film La Favorite, de Yórgos Lánthimos, avec Olivia Colman et Emma Stone. Je le recommande à tous les retardataires comme moi. Enfin, si vous souhaitez un dépaysement total, la série Vikings est parfaite. La Scandinavie sans quitter son canapé, que demander de plus?