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La possibilité de soustraire sa propriété au droit de chasse revient dans le débat public à l'occasion de litiges portés devant les plus hautes juridictions, mais aussi à l'approche de l'échéance présidentielle. Explications.

Chasse et droit de propriété : le débat revient sur le devant de la scène

 

Il paraît toujours étonnant de ne pas pouvoir interdire la chasse sur un terrain dont on est propriétaire. Pourtant, la loi Verdeille du 10 juillet 1964 a brisé le lien entre droit de chasse et droit de propriété établi lors de la Révolution, et empêche bien souvent cette interdiction.

Cette loi prévoit en effet le regroupement des territoires de chasse au sein d'associations communales de chasse agréées (Acca), dont la création est obligatoire dans une trentaine de départements français et facultative dans les autres. Les propriétaires dont les terrains sont inclus dans le périmètre d'une Acca en sont membres de droit. Ce qui signifie qu'ils n'ont plus le droit de chasse exclusif sur leur propriété, mais gagnent en revanche le droit de chasser sur l'ensemble du périmètre de l'Acca. Si tant est qu'ils soient chasseurs.

Limites au droit d'opposition

Les propriétaires peuvent toutefois s'opposer à l'inclusion de leurs terrains dans l'association de chasse sous certaines conditions. C'est le cas des propriétaires disposant d'une surface supérieure à 20 hectares, ceux ayant clos leur terrain et, depuis la loi du 26 juillet 2000, ceux qui s'opposent à la chasse par conviction personnelle. Cette loi a en effet mis en œuvre la décision de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) du 29 avril 1999 qui, après un long combat judiciaire des opposants à la chasse, avait jugé que la loi Verdeille violait la liberté de conscience, la liberté d'association et le droit de propriété.

La possibilité de retirer ses terrains de l'Acca reste toutefois soumise à plusieurs conditions. La chasse est alors interdite pour le propriétaire également, tandis que celui-ci reste responsable des dégâts causés par le gibier provenant de sa propriété. De plus, l'opposition du propriétaire doit respecter un formalisme strict et ne peut être prise en compte que tous les cinq ans, au moment de la révision du périmètre de l'Acca. « Parmi les cadeaux éhontés du Président Macron à l'occasion de la loi créant l'Office français de la biodiversité (OFB), ce n'est plus au préfet qu'un propriétaire privé doit écrire pour demander le retrait de son terrain de la chasse mais… au président de la fédération des chasseurs ! Ce que certaines braves gens ont peur de faire », pointe aussi Yves Vérilhac, directeur général de la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO).

Les opposants à la chasse restent donc mobilisés pour faire évoluer cette législation. « L'intégration des terrains au territoire de chasse de l'Acca est automatique. Il conviendrait d'inverser le principe et de n'intégrer ces terrains qu'avec un accord express du propriétaire », revendique depuis longtemps l'Association pour la protection des animaux sauvages (Aspas). Mais, face aux opposants à la chasse ainsi qu'aux chasseurs propriétaires qui souhaitent garder un droit de chasse exclusif sur leurs terres, se dresse la Fédération nationale des chasseurs (FNC). Celle-ci défend bec et ongles la loi Verdeille devant les tribunaux. Mais, dans le même temps, son président tient un autre discours dans les médias en liant l'exercice de la chasse au droit de propriété.

« La nature n'est pas à tout le monde »

 

 
Mission de contrôle sur la sécurisation de la chasseLa mission de contrôle du Sénat sur la sécurisation de la chasse, mise en place le 24 novembre 2021 à la suite d'une pétition ayant recueilli plus de 100 000 signatures, a mis la question de « la répartition spatiale et temporelle de l'usage des espaces naturels » à son ordre du jour. La mission, qui débute ses auditions le 7 décembre avec la fondatrice du collectif « Un jour un chasseur », annonce qu'elle remettra ses conclusions à l'été 2022.
 
Interrogé sur l'opposition grandissante à la chasse dans l'opinion publique, Willy Schraen a, en effet, déclaré, le 23 novembre, sur France Inter : « Je pense que mes prédécesseurs, et je ne leur en veux pas du tout, [n'ont pas imaginé] que l'on pouvait remettre en cause quelque chose qui était directement lié au droit de propriété ». Et d'ajouter : « Est arrivé ensuite le discours selon lequel la nature est à tout le monde. On sait bien qu'elle n'est pas à tout le monde. Il y a de la propriété privée derrière tout ça. » Juste avant, le président de la FNC avait affirmé que la chasse se passait sur des territoires privés « à 85 % pour la forêt et pratiquement à 100 % pour le territoire agricole ».

 

Pourtant, une étude, réalisée en 2015 par le cabinet Bipe pour le compte de la FNC, ne rapporte pas les mêmes chiffres. Selon celle-ci, 36 % seulement des chasseurs pratiquent leur sport dans des chasses privées, tandis que 58 % chassent sur le domaine public (10 %) ou dans des chasses associatives communales (48 %, dont 20 % en Acca).

Assurer une bonne organisation de la chasse

Côté judiciaire, la Fédération nationale des chasseurs intervient dans plusieurs instances pour défendre la loi Verdeille. C'est le cas devant le Conseil constitutionnel qui, le 4 novembre 2021, a validé une disposition législative relative au droit d'opposition à l'intégration dans une Acca issue de la loi du 24 juillet 2019 portant création de l'Office français de la biodiversité (OFB). Une association de chasse de propriétaires libres avait contesté le fait que le droit d'opposition soit réservé aux seuls propriétaires et associations de propriétaires ayant une existence reconnue lors de la création de l'Acca. Elle estimait qu'il y avait là une différence de traitement contraire au principe d'égalité devant la loi, ainsi qu'une atteinte disproportionnée au droit de propriété. Les sages ont repoussé ces arguments et validé la disposition.

 

 
Le législateur a entendu prévenir le morcellement et le rétrécissement des territoires de chasse des associations communales et assurer ainsi la stabilité et la viabilité de ces territoires. 
Conseil constitutionnel
 
La motivation de la décision réjouit les partisans de la loi Verdeille. « En adoptant les dispositions contestées, le législateur a entendu prévenir le morcellement et le rétrécissement des territoires de chasse des associations communales et assurer ainsi la stabilité et la viabilité de ces territoires », rappelle le Conseil constitutionnel pour juger que le principe d'égalité n'a pas été violé. Pour contester toute atteinte au droit de propriété, cette fois, il avance deux arguments. D'une part, « l'objectif d'intérêt général assigné par le législateur aux associations communales est d'assurer une bonne organisation de la chasse et le respect d'un équilibre agro-sylvo-cynégétique ». D'autre part, « les propriétaires tenus d'apporter leurs terrains à l'association communale sont privés non pas de leur droit de chasse, mais seulement de l'exercice exclusif de ce droit sur ces terrains. En contrepartie, ces propriétaires, membres de droit de l'association communale, sont autorisés à chasser sur l'espace constitué par l'ensemble des terrains réunis par cette association ».

 

« Mettre un terme aux velléités de certains opposants aux Acca »

« Nous ne pouvons qu'apprécier cet excellent résultat car il va mettre un terme aux velléités de certains opposants aux Acca de chercher à se regrouper dans l'unique but de soustraire leurs parcelles à la gestion des Acca », se félicite le directeur délégué aux affaires juridiques de la FNC dans un courrier adressé aux fédérations de chasseurs et qu'Actu-Environnement s'est procuré. La Fédération des chasseurs entend utiliser cette décision dans un autre contentieux l'opposant, cette fois, à la Fédération des forestiers privés de France (Fransylva) et portant sur le même sujet. Cette dernière estime que la disposition issue de la loi créant l'OFB institue une discrimination contraire à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme. Par une décision du 15 avril 2021, le Conseil d'État a sursis à statuer sur la requête de Fransylva dans l'attente d'un avis de la CEDH.

Cette dernière va-t-elle faire évoluer sa jurisprudence en la matière ? En 2012, elle avait validé la loi française telle que modifiée en 2000, à la suite du recours d'un propriétaire qui souhaitait conserver le droit de chasse exclusif sur ses terrains. La juridiction strasbourgeoise avait jugé que l'obligation d'inclure ses terrains dans le périmètre d'une Acca n'était pas discriminatoire et ne portait pas atteinte au droit de propriété dans la mesure où il ne s'agissait pas d'un opposant éthique à la chasse.

Mais ce que les opposants à la loi Verdeille peinent à obtenir dans les prétoires pourrait l'être, en revanche, par une évolution de l'opinion publique.

Tag(s) : #Agriculture, #Environnement, #Nature
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