La possibilité de soustraire sa propriété au droit de chasse revient dans le débat public à l'occasion de litiges portés devant les plus hautes juridictions, mais aussi à l'approche de l'échéance présidentielle. Explications.
Il paraît toujours étonnant de ne pas pouvoir interdire la chasse sur un terrain dont on est propriétaire. Pourtant, la loi Verdeille du 10 juillet 1964 a brisé le lien entre droit de chasse et droit de propriété établi lors de la Révolution, et empêche bien souvent cette interdiction.
Cette loi prévoit en effet le regroupement des territoires de chasse au sein d'associations communales de chasse agréées (Acca), dont la création est obligatoire dans une trentaine de départements français et facultative dans les autres. Les propriétaires dont les terrains sont inclus dans le périmètre d'une Acca en sont membres de droit. Ce qui signifie qu'ils n'ont plus le droit de chasse exclusif sur leur propriété, mais gagnent en revanche le droit de chasser sur l'ensemble du périmètre de l'Acca. Si tant est qu'ils soient chasseurs.
Limites au droit d'opposition
Les propriétaires peuvent toutefois s'opposer à l'inclusion de leurs terrains dans l'association de chasse sous certaines conditions. C'est le cas des propriétaires disposant d'une surface supérieure à 20 hectares, ceux ayant clos leur terrain et, depuis la
La possibilité de retirer ses terrains de l'Acca reste toutefois soumise à plusieurs conditions. La chasse est alors interdite pour le propriétaire également, tandis que celui-ci reste responsable des dégâts causés par le gibier provenant de sa propriété. De plus, l'opposition du propriétaire doit respecter un formalisme strict et ne peut être prise en compte que tous les cinq ans, au moment de la révision du périmètre de l'Acca. « Parmi les cadeaux éhontés du Président Macron à l'occasion de la loi créant l'Office français de la biodiversité (OFB), ce n'est plus au préfet qu'un propriétaire privé doit écrire pour demander le retrait de son terrain de la chasse mais… au président de la fédération des chasseurs ! Ce que certaines braves gens ont peur de faire », pointe aussi Yves Vérilhac, directeur général de la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO).
Les opposants à la chasse restent donc mobilisés pour faire évoluer cette législation. « L'intégration des terrains au territoire de chasse de l'Acca est automatique. Il conviendrait d'inverser le principe et de n'intégrer ces terrains qu'avec un accord express du propriétaire », revendique depuis longtemps l'Association pour la protection des animaux sauvages (Aspas). Mais, face aux opposants à la chasse ainsi qu'aux chasseurs propriétaires qui souhaitent garder un droit de chasse exclusif sur leurs terres, se dresse la Fédération nationale des chasseurs (FNC). Celle-ci défend bec et ongles la loi Verdeille devant les tribunaux. Mais, dans le même temps, son président tient un autre discours dans les médias en liant l'exercice de la chasse au droit de propriété.
« La nature n'est pas à tout le monde »
Pourtant, une étude, réalisée en 2015 par le cabinet Bipe pour le compte de la FNC, ne rapporte pas les mêmes chiffres. Selon celle-ci, 36 % seulement des chasseurs pratiquent leur sport dans des chasses privées, tandis que 58 % chassent sur le domaine public (10 %) ou dans des chasses associatives communales (48 %, dont 20 % en Acca).
Assurer une bonne organisation de la chasse
Côté judiciaire, la Fédération nationale des chasseurs intervient dans plusieurs instances pour défendre la loi Verdeille. C'est le cas devant le Conseil constitutionnel qui, le 4 novembre 2021, a validé une disposition législative relative au droit d'opposition à l'intégration dans une Acca issue de la loi du 24 juillet 2019 portant création de l'Office français de la biodiversité (OFB). Une association de chasse de propriétaires libres avait contesté le fait que le droit d'opposition soit réservé aux seuls propriétaires et associations de propriétaires ayant une existence reconnue lors de la création de l'Acca. Elle estimait qu'il y avait là une différence de traitement contraire au principe d'égalité devant la loi, ainsi qu'une atteinte disproportionnée au droit de propriété. Les sages ont repoussé ces arguments et validé la disposition.
« Mettre un terme aux velléités de certains opposants aux Acca »
« Nous ne pouvons qu'apprécier cet excellent résultat car il va mettre un terme aux velléités de certains opposants aux Acca de chercher à se regrouper dans l'unique but de soustraire leurs parcelles à la gestion des Acca », se félicite le directeur délégué aux affaires juridiques de la FNC dans un courrier adressé aux fédérations de chasseurs et qu'Actu-Environnement s'est procuré. La Fédération des chasseurs entend utiliser cette décision dans un autre contentieux l'opposant, cette fois, à la Fédération des forestiers privés de France (Fransylva) et portant sur le même sujet. Cette dernière estime que la disposition issue de la loi créant l'OFB institue une discrimination contraire à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme. Par une décision du 15 avril 2021, le Conseil d'État a sursis à statuer sur la requête de Fransylva dans l'attente d'un avis de la CEDH.
Cette dernière va-t-elle faire évoluer sa jurisprudence en la matière ? En 2012, elle avait validé la loi française telle que modifiée en 2000, à la suite du recours d'un propriétaire qui souhaitait conserver le droit de chasse exclusif sur ses terrains. La juridiction strasbourgeoise avait jugé que l'obligation d'inclure ses terrains dans le périmètre d'une Acca n'était pas discriminatoire et ne portait pas atteinte au droit de propriété dans la mesure où il ne s'agissait pas d'un opposant éthique à la chasse.
Mais ce que les opposants à la loi Verdeille peinent à obtenir dans les prétoires pourrait l'être, en revanche, par une évolution de l'opinion publique.
Laurent Radisson, journaliste
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