Dans un gros rapport sur l'état des terres agricoles en France, Terre de liens s'alarme d'une disparition croissante des surfaces agricoles utiles et dresse le portrait d'un secteur peu ouvert aux nouvelles installations et aux modèles alternatifs.
C'est un véritable cri d'alarme que pousse la fédération Terre de liens, à travers son gros rapport sur l'état des terres agricoles en France, publié ce 22 février. Aujourd'hui, constate le mouvement citoyen, un quart des exploitants a plus de 60 ans et 5 millions d'hectares de surface agricole utile devraient changer de main, dans les dix ans à venir, sur un total de 27 millions. Pour quels usages ? Chaque année, sont artificialisés entre 50 000 à 60 000 hectares de terres agricoles, qui sont détruits de manière irréversible, prévient Tanguy Martin, responsable de plaidoyer au sein du réseau Terre de liens. « C'est l'équivalent d'un terrain de football toutes les sept minutes ! »
Une situation fâcheuse pour l'environnement, comme pour la souveraineté alimentaire du pays, d'autant plus préoccupante qu'elle découle d'une tendance forte, installée depuis des décennies et bien plus marquée que dans n'importe quel autre pays d'Europe. En 1950, la surface agricole française représentait 72 % du territoire. Désormais, elle n'est plus que de 52 %. « Notre consommation de terre est plus importante et plus rapide que l'augmentation de la population », souligne Tanguy Martin.
Pour les propriétaires, un capital à valoriser
La faiblesse des retraites dans le secteur explique, en partie, la tentation des exploitants de vendre ce capital à des prix plus intéressants que dans le cadre d'une transmission. Mais il faut aussi tenir compte d'un manque fréquent d'anticipation de leur part, de leur crainte de ne pas trouver preneur – lorsque la ferme est devenue trop grande, trop chère, déjà intégrée à des filières… –, ou de devoir attendre trop longtemps avant de conclure.
Pour les nouveaux venus, un parcours du combattant
Pour les dizaines de milliers de candidats à l'installation, le chemin s'apparente pourtant à un parcours d'obstacles. À commencer par le coût d'achat du terrain : environ 6 000 euros l'hectare, pour des projets de 35 hectares en moyenne. « La structure agricole française est basée sur la transmission familiale. Or, 60 % des personnes qui se présentent aux points d'accueil installation ne sont pas issues de ce milieu, détaille Coline Sovran, elle aussi responsable de plaidoyer au sein de la Fédération. Par ailleurs, s'installer prend du temps. On manque cruellement de structures de portage temporaire de la terre pour prendre le relai, jusqu'à ce que les personnes soient prêtes. »
La solution du fermage, location des terres soumise à un barème préfectoral, n'apparaît pas plus simple tant les propriétaires craignent de perdre le contrôle de leurs biens. Surtout au bénéfice de nouveaux venus, pour des petites surfaces et souvent pour des modèles moins conventionnels : activités plus ancrées sur le territoire, notamment via les circuits courts, avec plus de bio ou d'agroécologie. Céder aux pressions des voisins qui souhaitent s'agrandir semblent souvent plus facile aux propriétaires.
Des outils mal adaptés
Des outils et des dispositifs ont bien été mis en place pour favoriser l'installation. Mais tous ne fonctionnent pas de manière optimale. Chargés de fixer les critères permettant de départager les demandes concurrentes, les schémas directeurs régionaux des exploitations agricoles (Sdrea), par exemple, ne donnent pas toujours la priorité aux installations. Censé préserver les exploitations des croissances excessives, le seuil d'agrandissement vient d'être révisé à la hausse. « Et il peut aussi varier si l'on justifie d'un besoin de rentabilité économique », constate Coline Sovran. Même les sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural (Safer), pourtant créées pour faciliter l'accueil des porteurs de projet, via l'acquisition des biens mis en vente, n'assument pas toujours ce rôle.
Enfin, pour un achat comme pour une location, une autorisation d'exploiter est nécessaire avant de se lancer. Ce blanc-seing est délivré, selon les critères définis par le Sdrea local, par une commission départementale d'orientation agricole (CDOA). « Mais cette dernière est constituée d'agriculteurs en place, issus du syndicat majoritaire, qui peuvent avoir intérêt à favoriser un exploitant déjà installé ou plus conforme à leur vision des modèles à sauvegarder », remarque Coline Sovran. Quant aux achats de parts sociales dans les sociétés agricoles, ils restent assez opaques. « Avec un bon juriste, on peut contourner massivement ces régulations », résume Tanguy Martin. Résultat : seuls 15 000 des postulants auprès des points d'accueil installation parviennent à leurs fins chaque année. Pas de quoi compenser les 20 000 départs annuels.
Un panel de solutions
Afin de sortir ces terres de la spéculation et permettre à de nouvelles générations d'agriculteurs de s'installer, Terre de liens propose plusieurs leviers. En amont, la fédération préconise de mieux préparer la transmission, « un impensé des politiques publiques », par des accompagnements individuels et collectifs. Elle prône des mesures fiscales moins favorables à la vente de terres constructibles. Elle conseille une meilleure prise en compte des enjeux environnementaux et sociaux par les Sdrea, y compris l'accès aux terres pour les femmes, insuffisamment représentées dans le secteur, et la révision de certains dispositifs de la PAC : ceux qui lient les aides à la surface des exploitations et ceux qui excluent des aides les personnes d'âge mûr en reconversion, notamment.
Enfin, dans l'attente d'une grande loi foncière promise, mais toujours repoussée, elle encourage la mise en place de solutions de portage des terres, mais aussi un moratoire sur les nouvelles zones à urbaniser. Des solutions qui pourraient aussi permettre de faire bouger les lignes en termes de modèles de production et de consommation. À condition de manger moitié moins de produits d'origine animale, la France disposerait d'une surface agricole utile suffisante pour basculer entièrement vers l'agriculture bio, plus gourmande en terre, mais plus qualitative, estime ainsi la fédération. L'opportunité aussi de réduire de 40 % les émissions de gaz à effet de serre du secteur.
Nadia Gorbatko, journaliste
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