Depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine, l'Europe cherche à renforcer très rapidement son autonomie énergétique, notamment vis-à-vis de la Russie. Des pistes se dessinent, plus ou moins favorables au climat…

L'Union européenne peut-elle retrouver un minimum d'autonomie énergétique et, notamment, se passer du gaz et du pétrole russes ? Depuis l'entrée en guerre de Vladimir Poutine contre l'Ukraine, le 24 février dernier, la question se place au premier plan des préoccupations des gouvernements et de la Commission européenne. Elle le sera plus que jamais, lors du sommet des chefs d'État et de gouvernement prévu à Versailles, aujourd'hui et demain. Le défi est de taille pour les Vingt-Sept, qui importent 95 % de leur gaz, dont 45 % de Russie, et qui dépendent de ce pays pour 25 % de leur approvisionnement en pétrole et pour 45 % de leurs achats de charbon. Mais il pourrait être relevé en partie par quelques mesures d'urgence, avant l'hiver prochain, selon l'Agence internationale de l'énergie (AIE) et la Commission européenne.
Des fournisseurs moins problématiques
Afin de réduire de deux tiers les 155 milliards de mètres cubes de gaz importés chaque année de Russie, la Commission européenne a en effet présenté, le 8 mars dernier, les grandes lignes d'un plan, REPowerEU, assez semblable, quoique plus ambitieux, à celui de l'AIE, publié deux jours plus tôt. Un autre devrait suivre, centré cette fois sur le pétrole. Ce programme européen devra être affiné avec les États membres, mais il prévoit déjà de rendre obligatoire, d'ici au 1er octobre 2022, la constitution de stocks de gaz, remplis à 90 %. En parallèle, il recommande la diversification des approvisionnements, par l'achat de gaz auprès d'autres pays, de gaz naturel liquéfié (GNL) notamment, et par la production de gaz renouvelable. « Une urgence absolue », approuvait, hier, le ministre français de l'Économie, Bruno Le Maire, en ouvrant la conférence ministérielle organisée, à Bercy, sur le thème de l'énergie.
Se tourner vers l'Algérie, l'Azerbaïdjan ou la Norvège pour ses approvisionnements de gaz, c'est possible, confirme Pierre Laboué, chercheur à l'Institut des relations internationales et stratégiques (RIS). « Mais cette piste a ses limites, car l'Algérie consomme de plus en plus son propre gaz, ce qui restreint la part disponible à l'exportation. » De même, les importations de GNL australien, américain ou qatari sont bien envisageables. « Nous l'avons déjà fait ces deux derniers mois, en passant de 15 à 33 % de GNL dans nos importations gazières par rapport à la même époque en 2021 », souligne Phuc Vinh Nguyen, chercheur au pôle énergie de l'Institut Jacques-Delors. Dans ce but, l'Allemagne devrait investir 1,5 milliard d'euros dans de nouvelles infrastructures.
Des choix coûteux et incertains
Cette solution pourrait toutefois rester limitée en raison du coût plus élevé de cette énergie et du temps nécessaire à son acheminement. « Il faut, en outre, que le fournisseur dispose de volumes de production de gaz supplémentaires et de capacités d'exportation disponibles, ce qui est loin d'être le cas, indique Pierre Laboué. De plus, la plupart des livraisons de GNL sont conclues dans le cadre de contrats de long terme avec d'autres pays, comme le Japon, la Corée du Sud, l'Inde ou la Chine. Solliciter des volumes supplémentaires de GNL, c'est se mettre potentiellement en concurrence avec ces acheteurs et accepter de payer le prix fort pour racheter leurs livraisons. » Le GNL émet aussi plus de carbone que le gaz classique...
Des solutions plus orthodoxes
D'autres solutions plus vertes sont à la portée de l'UE, comme le déploiement des énergies vertes, via les projets dans le solaire, en autoconsommation notamment, et dans l'éolien. Selon l'AIE, le gain à attendre serait de 20 TWh dès 2022. Une voie privilégiée par l'Allemagne, qui espère boucler sa loi sur les énergies renouvelables en juillet prochain. Contrairement au nucléaire, ces dernières présentent l'avantage d'un déploiement possible en quelques mois. « Leur coût a diminué et nous avons beaucoup de projets offshore dans les cartons », précise Pierre Laboué. Encore faudrait-il réussir à accélérer les délais de traitement des dossiers en allégeant certaines contraintes administratives et réglementaires qui les bloquent. En France, d'après le RAC, 11,5 GW de projets solaires étaient en cours d'instruction, fin 2021, 13,5 GW pour l'éolien et 19 à 25 GW pour le biométhane. L'Europe, de son côté, pourrait lever les freins à l'investissement vert à travers une révision de ses règles budgétaires.
Les recommandations de la Commission et de l'AIE visent aussi l'efficience énergétique, à mettre en œuvre dès aujourd'hui, quitte à porter ses fruits un peu plus tard. Parmi les solutions : remplacer les chaudières à gaz par des pompes à chaleur et, bien sûr, rénover les bâtiments. Selon la Fondation européenne pour le climat, isoler toutes ses passoires thermiques chauffées au gaz permettrait à la France de réduire sa consommation de plus de 11 TWh, soit 14 % de ses importations gazières russes.
Des changements d'habitude à venir
• Accélération des projets dans le solaire et l'éolien : 6 milliards de mètres cubes.
• 1 degré de chauffage en moins : 10 milliards de mètres cubes.
• Baisse de la vitesse sur les routes : - 25 % de carburant.
(Sources : AIE, NégaWatt.)
Autre avantage de ces démarches : elles renforcent la solidarité entre les pays européens, via le transfert du gaz ainsi économisé. Ces premiers efforts ne permettront pas à l'Europe d'acquérir une réelle autonomie. D'autres, de moyen et de long termes, devront être prévus. Mais ils sont essentiels : chaque jour, faute de pouvoir se passer de son énergie, les vingt-sept États membres versent près d'un milliard d'euros à la Russie. De quoi continuer à financer ses visées guerrières...
Nadia Gorbatko, journaliste
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