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4 juillet 2025

Montréjeau-Luchon, une réouverture de ligne emblématique pour la France marginalisée

Le dimanche 22 janvier a eu lieu un événement symboliquement et concrètement considérable dans une France « périphérique » étranglée par la liquidation des services publics : la réouverture d’une ligne de chemin de fer, celle reliant Montréjeau - Gourdan-Polignan à Luchon, dans les Hautes-Pyrénées, en présence de Carole Delga, présidente (PS) du conseil régional d’Occitanie, de Jean-Luc Gibelin, vice-président chargé des Transports (PCF) et de centaines de personnes.

La région Occitanie fait exception dans une France ferroviairement désertifiée

 Alors que des milliers de kilomètres de lignes sont une fois de plus menacés de fermeture par manque d’investissements pour leur entretien à une époque où les Länder d’Allemagne rouvrent des lignes fermées par centaines de kilomètres, la région Occitanie fait exception dans une France ferroviairement désertifiée. Elle a financé seule, pour 67 millions d’euros, la réhabilitation complète de ces 36,16 km de ligne fermés à tout trafic par SNCF Réseau le 18 novembre 2014 après un longue agonie délibérément organisée par Paris. Cette antenne pittoresque permet de passer de l'altitude 423m à Montréjeau à celle de 620 m à Luchon, moyennant des pentes maximales de 15mm/m. 

Belle affiche, au style volontairement historique, annonçant la journée de réouverture de la ligne Montréjeau-Luchon, publiée par la région Occitanie. Il est probable que cet événement, signal aux populations de plus en plus marginalisées par l'Etat jacobin et la métropolisation à outrance, aura un effet sur le prochain scrutin régional.

 Certes la ligne Montréjeau-Luchon n’a malheureusement pas été restituée dans son état originel, finances régionales obligent : ni réélectrification – les antiques poteaux caténaires de la compagnie du Midi ont été déposés -  alors que la ligne avait été électrifiée avec mise en service le 2 janvier 1925 ; ni création d’un créneau de croisement alors qu’elle en comptait à l’origine quatre sur neuf stations intermédiaires : Lourès-Barbazan, Saléchan-Siradan, Marignac-Saint-Béat, Cier-de-Luchon. Elle sera donc exploitée en navette, ce qui a évité la pose de deux aiguillages et d’un système de régulation plus complexe.

 Mais, au moins, la voie et le ballast sont frais et les quais sont aux normes les plus récentes. Trois haltes intermédiaires sont maintenues et réhabilitées - Loures Barousse (ex-Loures-Barbazan), Saléchan-Siradan, et Marignac Saint-Béat – mais sous forme de gares à voie unique, sans croisement possible.

 A Luchon, une seule voie à quai d’une longueur équivalant à celle de deux rames Régiolis a été rétablie, avec une voie de stationnement dédoublée hors quai, qui pourrait permettre une remise en tête de locomotive sur courte rame.

SNCF Réseau a perdu la gestion, l’entreprise TSO mandataire

 La gestion de cette antenne a été récupérée à SNCF Réseau par la région Occitanie le 4 avril 2023, une première en France, grâce à deux conventions, l’une administrative, l’autre technique. Sous maîtrise d'oeuvre générale Systra, la région a délégué les travaux et la future maintenance technique à TSO, mandataire, à la tête d’un groupement qui comprend : Egenie, TSO Signalisation, Sages Rail, Guintoli, NGE Génie Civil, NGE Fondations. Par ailleurs, les gares et haltes ont elles aussi été reprises par la région à Gares & Connexions, la filiale gares de SNCF Réseau.

 TSO (Travaux du Sud-Ouest) est une entreprise spécialisée dans les travaux sur infrastructures et superstructures ferroviaires, entreprise historique puisque créée en 1927 par Auguste Perron. Elle a été rachetée en 2011 par le groupe de BTP indépendant NGE (Nouvelle Génération d’Entrepreneurs) basée près de Tarascon, nouveau nom depuis 2002 de l’entreprise Guintoli alliée à EHTP et GTS.

Vue prise pendant les travaux de dépose de la superstructure ancienne. Les rails sont récupérés pour recyclage du métal, le ballast ancien est lavé et repris en première couche, les traverses béton concassées pour couche de forme. (Doc. lio Occitanie)

 Il est important de souligner combien cette restauration relève d’une politique régionale volontariste. La neutralisation de la ligne, fin 2014, est survenue alors que plusieurs limitations drastiques de vitesse (à 10 km/h) avaient fait bondir le temps de parcours ferroviaire de bout en bout à quelque 50 mn alors qu’il sera désormais de 35 minutes pour 6 allers-retours quotidiens tous les jours. Le temps de parcours par autocar parallèle de desserte fine (29 arrêts potentiels desservis) s’établit à 54 mn, 7 fois par jour du lundi au vendredi, 6 fois par jour les samedis et 5 fois par jour dimanches.

 Si SNCF Réseau a perdu la gestion de l’antenne, SNCF Voyageurs, avec laquelle la région Occitanie conventionne ses services TER, exploitera les navettes. SNCF Réseau conserve par ailleurs la commande des circulations en navette à partir du poste de Montréjeau Gourdan-Polignan.

Volontarisme de l’Occitanie face au refus de SNCF Réseau

 Il est important de souligner que la volonté de la région Occitanie de rouvrir cette ligne s’est dans un premier temps heurtée au refus plus ou moins assumé du gestionnaire d’infrastructure national. SNCF Réseau, a-t-on appris de source informée, avait en effet ignoré la demande de devis que lui avait soumis le conseil régional et refusé de réaliser l’étude socio-économique dont il avait besoin.

 Cette attitude, et la volonté politique occitane de « renverser la vapeur » de la tradition malthusienne de  l’Etat en matière de lignes de desserte fine, a certainement motivé la décision du conseil régional d’exclure SNCF Réseau des travaux de réhabilitation et de la maintenance de ces 36,16 km de voie. Pour autant Mathieu Chabanel, président de SNCF Réseau, était présent le 22 juin pour la cérémonie d’inauguration, au titre de l’autorité de commande des circulations que ses services conservent.

 L’absence de rétablissement d’au moins une voie de croisement à mi-parcours, à Marignac-Saint-Béat, constitue un handicap pour un développement futur des dessertes ferroviaires alors que Carole Delga n’a pas fait mystère de sa volonté de rétablir la desserte de Luchon par un train de nuit venant de Paris. Par ailleurs, des relations directes depuis Toulouse sont prévues à l’avenir. Les risques d’irrégularité croissent à proportion de la longueur des missions.

Le périmètre des travaux de TSO, la présence de Schweizer Electronics AG

Entre Montréjeau et Luchon, le périmètre des travaux menés par TSO et ses partenaires a compris : les travaux de plateforme ferroviaire et voirie après dépose des 37 km de rails anciens et de traverses, la mise en place de protections contre les éboulements rocheux et le confortement des ouvrages en terre et parois clouées, le génie civil de quais pour la réparation et le remplacement d’ouvrages, l’assainissement et les travaux hydrauliques et enfin les travaux de voie, signalisation et sécurité ferroviaire.  TSO a réutilisé 25% du ballast ancien, valorisé, dans le nouveau pré-ballastage et utilisé des éléments concassés de traverses dans les couches de forme.

Passage à niveau flambant neuf, équipé de techniques helvétiques de protection et d'annonce, signées Schweizer Electronics. (Cl. POM)

Deux éléments intéressants ont été relevés par le correspondant de Raildusud présent lors de l’inauguration. Le premier est la qualité de l’armement de la voie qui permettra, le 24 août prochain, la circulation de la locomotive à vapeur 141 R 1126 d’une masse de 192 tonnes en ordre de marche. Entretenue par l’Amicale des Cheminots pour la Préservation de la locomotive 141 R 1126 (ACPR-1126) et classée Monument historique, elle rejoindra Luchon depuis Toulouse à la tête d’une circulation exceptionnelle, à la tête d’une rame de voitures appartenant à ladite association.

 Par ailleurs, les 25 passages à niveau ont été entièrement réhabilités par la technologie helvétique de Schweizer Electronic AG, avec compteur d’essieux (et non plus pédales) et sonnerie d’avertissement aux automobilistes, cyclistes et piétons différente de celles implantées par SNCF Réseau. Cette entreprise, un leader européen pour la protection ferroviaire, est basée à Reiden dans le canton de Lucerne. Elle était présente au salon Sifer de Lille fin juin.

Premier contrat de prestation de gestion des infrastructures pour TSO

 TSO explique avoir assuré depuis novembre 2023 « une mission d’assistance à maitrise d’ouvrage auprès de la Région pour apporter son regard de mainteneur pendant l’ensemble des phases : conception, travaux, réception et respect des procédures réglementaires ». Pour TSO, ce dossier représente le premier contrat de prestation de la gestion des infrastructures.

 Dès début 2025 et pendant deux ans et demi, TSO s’assure « que l’ensemble des éléments liés à la ligne permettent aux trains de circuler dans les exigences de sécurité et de régularité (…) et interviendra pour la surveillance, l’entretien et la maintenance de la ligne en assurant une disponibilité 24h/24 et 7j/7. »

Un seul compteur d'essieux Frauscher à l'entrée de la ligne, côté SNCF Réseau, donc modèle "standard" (ci-dessus). Pour les passages à niveau, ce sont des installations Suisses avec détecteur d'essieux et armoires abritant toute l'informatique (Ci-dessous).  (Cl. POM)

Malgré ses limites, l’opération Montréjeau-Luchon aura constitué un moment fort de politique régionale.  Cette politique contraste fortement avec celle menée par la région voisine d’Auvergne-Rhône-Alpes où le conseil régional refuse tout effort de réhabilitation de Boën-Thiers (axe Saint-Etienne-Clermont-Ferrand) mais aussi d’Oyonnax-Saint-Claude et Volvic-Ussel, deux lignes partagées avec les régions voisine (Bourgogne-Franche-Comté et Nouvelle Aquitaine), et transforme l’antenne (Lyon) Sathonay-Trévoux en ligne d’autocar à voie unique de 15 km.

  Le transfert de gestion de la ligne a été permis par la loi LOM, enrichie de cette possibilité à l’initiative du député de la 8e circonscription de Haute-Garonne, Joël Aviragnet (PS), auquel Carole Delga a rendu hommage lors de l’inauguration. Cette dernière n’a pas caché son ambition d’obtenir, outre le transfert de gestion, le transfert de pleine propriété de la ligne à la région Occitanie. On notera que la ligne Montréjeau-Luchon se situe dans le territoire d’origine personnelle de Carole Delga, le Comminges.

Le recours prochain à l’hydrogène abondamment discuté

 N’ayant pas été réélectrifiée, la ligne est parcourue en mode thermique. Le parc de rames sera complété par trois rames Regiolis bimode incluant une alimentation par pile à combustion d’hydrogène assistée de batteries, en substitution de la caténaire sur l’antenne non électrifiée. Constituées de quatre caisses, d’une longueur de 72 m, aptes à 160 km/h Elles devraient être opérationnelles à la fin de l’année 2026. Ce choix, coûteux, et qui implique la constitution d’un sous-parc dans un environnement ferroviaire entièrement électrifié, a été abondamment discuté.

Regiolis Alstom (à deux niveaux) côtoyant un AGC Alstom en gare de Lyon Part-Dieu. La version mixte hydrogène-caténaire commandée par la région Occitanie sera à un seul niveau et à quatre caisses. Elle permettra des relations directes Toulouse-Luchon. La réélectrification de cette dernière section eût permis de ne pas avoir recours à un coûteux sous-parc et ses équipements spécifiques de recharge au sol, et d'optimiser l'usage du parc TER électrique existant. (Cl. RDS)

 Le devis de construction des trois rames à hydrogène atteint 52 millions d’euros « soit plus de 17 millions d’euros la rame, à comparer aux 8 millions d’euros par rame Regiolis bimode (diesel et électricité par caténaire) », commentait dans Raildusud l’ingénieur Pierre Debano (1). Ce dernier ajoutait que pour réélectrifier cette ligne de montagne à voie unique, « on compterait 36 millions d’euros soit un million d’euros du kilomètre », à charge « pour les spécialistes de préciser la valeur exacte ». Notons que l’Etat subventionnera une partie de l’achat des trois rames à hydrogène, à hauteur de 10 M€, soit 19,23 % du devis.

 L’ingénieur poursuit : « Le trois rames à hydrogène ont un surcoût initial de quelque 27 millions d’euros (par rapport à trois rames bimode diesel-caténaire, NDLR), auquel il faudra ajouter périodiquement le remplacement de la pile à combustible à hydrogène ». M. Debano rappelle « qu’une électrification a une durée de vie minimale de 50 ans », et « qu’il faut aussi tenir compte du remplacement des batteries indispensables dans ce type de technique ».

Rive droite du Rhône, Alès-Bessèges actés… mais 70 % du réseau menacés

 La politique offensive de l’Occitanie en matière de réouvertures a déjà enregistré le succès de la réintroduction progressive de TER sur la rive droite du Rhône (Pont-Saint-Esprit-Avignon-Nîmes) et se poursuivra avec la remise en service d’Alès-Bessèges. En revanche, la remise en service de Limoux-Quillan est retardée en raison du refus de l’Etat de cofinancer le devis à hauteur de 35 % (65 % par la région). Celle de Séverac-le-Château-Rodez, ligne de maillage, a été officiellement reportée par le conseil régional, mais sans être formellement abandonnée.

 Carole Delga a lancé une pétition pour rappeler l’Etat à ses engagements. Elle a rapporté le résultat d’une étude qui établit que 984 km de lignes ferroviaires du réseau irriguant l’Occitanie sont menacés à moyen terme, soit 70 % du linéaire.

Vue générale du faisceau de voies de la gare d'Alès dont l'état général est symptomatique de l'amaigrissement du réseau régional depuis les années 1970. Il recevra d'ici quelques années les navettes de et vers Bessèges, autre initiative courageuse de la région Occitanie au bénéfice de populations marginalisées et jusqu'ici systématiquement renvoyées sur la route. (Cl. RDS)

 La présidente du conseil régional occitan confirme ainsi la mise en garde de Jean-Pierre Farandou, PDG du groupe SNCF, qui estimait récemment que sans une hausse annuelle de 1,5 milliard d’euros d’investissement public dans le réseau physique, 4.000 km de lignes sont menacés de neutralisation à court terme, 10.000 km autres à moyen terme… sur 25.000 km hérités du réseau originel qui en a déjà perdu 25.000 autres kilomètres.

 Cette hypothèse réduirait la densité du réseau français à celle d’un pays du tiers-monde, ne subsistant que les lignes à grande vitesse et de rares lignes historiques. Ce serait la concrétisation du rapport malthusien établi en 1978 par l’ingénieur Pierre Guillaumat qui prônait une destruction de la quasi-totalité du maillage subsistant pour ne conserver qu’un réseau noyau… et confirmer en France la toute-puissance de la route, dont il était et reste l’avocat le plus obstiné.

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(1) Lien vers un précédent article de Raildusud consacré au matériel roulant à hydrogène:

https://raildusud.canalblog.com/archives/2021/11/09/39200879.html

Tag(s) : #Bagnères-de-Luchon, #Montréjeau, #Train, #Occitanie, #Carole Delga, #Comminges, #Haute-Garonne
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