1 février 2025
Gare pharaonique du Grand Paris Express, Villejuif Gustave-Roussy illustre le fossé Paris-Province *
(*Correction au 3e paragraphe: le budget du GPE équivaut à 5.000 km et non 500 km de réactivation de lignes régionales fermées.)
Raildusud entretient ses lecteurs des questions de dessertes ferroviaires urbaines, régionales ou nationales concernant les trois régions du Grand Sud-Est, Provence-Alpes-Côte d’Azur, Auvergne-Rhône-Alpes et Occitanie. Pour mesurer les investissements réalisés ou refusés dans ces régions, il est intéressant de regarder ce qui se passe en Ile-de-France. Dans cette région de 12 millions d’habitants, la facture du super-métro automatique et périphérique Grand Paris Express était évaluée, en euros courants, à 42 milliards d’euros en 2020… voici cinq ans déjà.
Vu la dérive monétaire, il est raisonnable de penser que le devis final de ces 200 km de lignes nouvelles et leurs 60 stations, toutes superbement architecturées, atteindra au moins 50 milliards d’euros. La station Villejuif Gustave-Roussy, inaugurée ce mois-ci, illustre le traitement très particulier réservé à la région parisienne.
Le GPE, équivalent de la réouverture de 5.000 km de lignes régionales
Ces 50 milliards d’euros équivalent potentiellement aux devis cumulés de restauration pour réouverture de 4.000 à 5.000 kilomètres de lignes régionales au prix élevé des restaurations françaises. Ou encore à 400 fois le prix de la réouverture de la désormais célèbre section neutralisée Boën-Thiers (environ 120 millions d’euros pour 47 km) qui permettrait de rétablir des trains entre Saint-Etienne et Clermont-Ferrand (150 km) au bénéfice de 850.000 habitants directement desservis. Pour l’instant, cette section voit se développer une végétation exubérante. Il en va de même pour quantité d’autres lignes, telles Séverac-Rodez, Limoux-Quillan, Digne-Saint-Auban, Oyonnax-Saint-Claude, Limoges-Angoulême, etc…
Ce projet du Grand Paris Express a montré toute sa dérive pharaonique le 18 janvier lors de l’inauguration de l’immense station nouvelle de Villejuif Gustave-Roussy, dans le Val-de-Marne, au sud de Paris. Cette « gare » est située à l’intersection du prolongement de 14 km, jusqu’à l’aéroport d’Orly, de la ligne automatique 14 à petit gabarit (2,40 m) et roulement pneu-fer, mis en service en juin 2024, et de la future ligne automatique 15 sud à plus grand gabarit (2,80 m) et roulement fer, qui devrait être mise en service en 2026. La ligne 14 a vu sa longueur totale portée à 27,8 km, en faisant la plus longue ligne de métro d’Ile-de-France en service, devant la ligne 13 (24,4 km). La ligne 15 totalisera 75 km une fois sa boucle entièrement construite.
/image%2F1336994%2F20250124%2Fob_233c54_grand-paris-express-villejuif-carte-il.jpg)
Carte de situation de la gare de Villejuif Gustave-Roussy, au sud de Paris, à l'intersection des ligne 14 et 15 (à venir). (Doc. SGP)
La gare de Villejuif Gustave-Roussy complète l'équipement de la plus grande ligne de métro automatique d’Île-de-France (la 14), après la mise en service des huit gares supplémentaires de cette ligne 14 à l’été 2024 : au nord Saint-Denis-Pleyel ; au sud Maison Blanche, Hôpital Bicêtre, L’Haÿ-les-Roses, Chevilly-Larue, Thiais-Orly et Aéroport d’Orly au sud. La gare de Villejuif Gustave-Roussy s’ajoute donc depuis ce mois-ci entre les stations d’Hôpital Bicêtre et L’Haÿe-les-Roses.
Villejuif Gustave-Roussy est située à proximité de l’un des plus grands centre hospitaliers, l’Institut Gustave-Roussy, spécialisé en oncologie. Ce centre compte 3.000 salariés. Le nombre d’habitants directement desservis par la nouvelle gare est légèrement inférieur à 19.000. Après la mise en service de la ligne 15 Sud, la gare pourrait accueillir près de 100.000 voyageurs par jour, selon les projections de la SGP. La ligne 15 Sud devrait transporter plus de 1,5 million de voyageur chaque jour de semaine, toujours selon ces projections, entre Pont de Sèvres et Champigny Centre.
Le coût du GPE est passé de 22,6 en 2013 à 42 milliards d’euros en 2020, probablement 50 au final
Cette gare de Villejuif Gustave-Roussy, aux dimensions colossales et à l’architecture éblouissante a été inaugurée le 18 janvier en présence des autorités, en particulier Valérie Pécresse, présidente du Conseil région d’Île-de-France, et Jean Castex, ancien Premier ministre et président du groupe RATP. Il ne nous a pas été possible d’évaluer son coût. Son maître d’œuvre systèmes a été Egis, filiale de la Caisse des Dépôts, pour le compte de la Société des Grands Projets (ex-Société du Grand Paris), maître d’ouvrage et pilote du Grand Paris Express.
Entre 2013 et 2017, l’estimation du coût à terminaison du GPE est passée de 22,6 milliards d’euros à 35,1 milliards d’euros, « ce qui témoignait d’un effort de sincérisation (sic) louable bien que tardif mais a remis en cause la soutenabilité du modèle de financement initialement prévu » rapportait alors le Sénat. Puis, selon les conclusions en 2020 du groupe de travail sénatorial sur le Grand Paris Express, le coût était passé à 42 milliards d'euros aux conditions économiques de l’année.
« Le risque de dérapages financiers du projet à l'avenir demeure très important », alertaient déjà les sénateurs qui appelaient la SGP à « tout faire pour les éviter ». Le devis final, à la fin des années 2020, devrait logiquement atteindre voire dépasser les 50 milliards.
/image%2F1336994%2F20250124%2Fob_7dce00_grand-paris-express-carte-totale-hekt.png)
Carte du réseau des lignes du Grand Paris Express et du prolongement de la ligne 14, sections sous la responsabilité de la Société des Grands Projets (ex-Société du Grand Paris, renommée pour traiter des futurs Services express métropolitains des autres agglomérations). (Doc. Hektor/Wikipedia)
Parmi les raisons de cette dérive considérable, les auteurs du rapport signalaient la sous-évaluation de certains besoins techniques, l’ajout de 16 gares supplémentaires, la volonté de réaliser certaines mises en service (prolongements de la ligne 14) avant les Jeux Olympiques de 2024 et la crise sanitaire de 2020. Le rapport sénatorial proposait d’engager une contribution budgétaire de l’Etat pour soutenir financièrement le projet, complétant les emprunts de la SGP gagés sur la puissance publique et la fiscalité régionale.
Puits de lumière sur neuf étages bardé d’inox et conçu par Dominique Perrault
Véritable « puits de lumière » sur pas moins de neuf étages, accessible aux personnes en situation de handicap, cette nouvelle gare est tout simplement « monumentale », couronnée par un immense auvent circulaire. Conçue par Dominique Perrault Architecture, elle ne comporte pas moins de six accès. Située au centre d’un large parvis piéton, elle occupe au niveau du sol naturel un espace urbain de 7.500 m2 .
/image%2F1336994%2F20250124%2Fob_c3c8c1_grand-paris-villejuif.jpg)
Vue de la gare de Villejuif Gustave-Roussy, dans le Val-de-Marne, lors de son inauguration. Elle dessert 19.000 habitants et un hôpital spécialisé en oncologie. (Doc. région IdF)
En souterrain, elle se déploie sur neuf niveaux. Les quais de la ligne 14 et leurs enfilades de portes palières sont situés au niveau – 7, à 36,7 m de profondeur. Les quais de la ligne 15 Sud sont situés au niveau – 9, à 48,8 mètres de profondeur. La géométrie de son immense cylindre excavé dérive de la nécessité d’introduire deux tunneliers, « Allison » et « Amandine », pour le percement de la ligne 15 Sud de part et d’autre.
Le chantier de la gare de Villejuif Gustave-Roussy aura duré huit années, égrené de prouesses techniques, selon les mots de la SGP qui estime que cette gare « est l’une des huit les plus emblématiques du Grand Paris Express ». Il y a de quoi. Après avoir excavé 300.000 m3 de matériaux, les compagnons constructeurs ont dû s’adapter « au souhait de l’architecte de concevoir une boîte-gare circulaire » dotée de 9.900 m2 de surface et surmontée d’un immense auvent circulaire et translucide.
Les usagers peuvent admirer « toute la splendeur et la complexité de son architecture en s’engouffrant dans un puits lumineux dont le revêtement en inox, décliné sous toutes ses formes (lisse, maillé, perforé, satiné…) sublime les neuf niveaux », lit-on encore. On ne précise pas quel sera le coût d'entretien et de maintenance de cet appareil.
Débauche de luxe, bien loin de la modestie du métro originel
Cette débauche de luxe et de tape-à-l’œil contraste fortement avec le parti des stations du réseau de métro urbain originel de Fulgence Bienvenüe, dominés par la rationalisation des coûts, la priorité à l’hygiène et la standardisation. Ce principe d’économie et d’efficacité a été partagé tant par la CMP (Compagnie du métropolitain de Maris, municipale) que le Nord-Sud (privé).
Certes l’usage moderne des tunneliers, largement utilisés pour le GPE, a induit le percement de vastes excavations afin de permettre leur installation. La récupération de ces volumes pour la future station est compréhensible.
/image%2F1336994%2F20250124%2Fob_b35ebd_grand-paris-villejuif-2.jpg)
Monumentale verrière et débauche d'inox pour la gare de Villejuif Gustave-Roussy.
En revanche, la débauche de gestes architecturaux, dont le coût n’est même pas dévoilé au grand public, est bien moins supportable par la population habitant hors Ile-de-France. On notera au passage que plusieurs cabinets d’architecture, parmi les plus grands noms, ont été mobilisés pour concevoir la soixantaine de « gares » du GPE. Chacune constitue un « objet » architectural particulier. Non seulement leur reconnaissance par le public devrait en pâtir – aucune similitude entre elles ne signalera une « continuité réseau » -, mais le coût global s’envolera. Et l’Etat, c’est-à-dire tous les Français, est déjà appelé à la rescousse.
La marque du dédain pour le reste du pays
Une partie au moins des lignes du Grand Paris Express paraît justifiée. La ligne 18 du plateau de Saclay, à gabarit particulier au sein du GPE, a été contestée par des fédérations d’usagers. On peut douter aussi de la nécessité d’amener une ligne de métro automatique jusqu’à l’aéroport d’Orly, déjà desservi par l’Orlyval, et plus encore jusqu’à celui de Roissy, desservi par le RER B et bientôt par une ligne dédiée du réseau national.
On évitera d’évoquer l’avant-projet de ligne 19 réclamé à cors et à cris par les élus de la banlieue nord-ouest (le département du Val-d’Oise a voté en mai les premières études), qui pourrait relier l’aéroport de Roissy à Argenteuil, soit de neuf à onze gares sur 25 à 30 km pour un coût estimé à… 6 à 7 milliards d’euros soit 233 millions d’euros par km ! Excusez du peu, quand on sait que chaque ligne régionale neutralisée depuis quelques années pourrait être rétablie et modernisée pour 2,5 millions d’euros/km environ, presque cent fois moins.
/image%2F1336994%2F20250124%2Fob_1526ee_brevenne-4-lafarge-direction-sfoy2-m.jpeg)
A une quarantaine de kilomètres de Lyon, dans la vallée de la Brévenne, la ligne amorcée à Lyon Saint-Paul ne transporte plus de voyageurs au-delà de Sain-Bel et a perdu son trafic de ballast pour SNCF Réseau depuis trois ans. Dans cette périphérie lyonnaise, tout est sur la route. (Doc. POM)
La densité de population de l’Ile-de-France rendait nécessaire la création de lignes de rocades, quoique probablement moins nombreuses, afin de soulager les lignes radiales et d’atténuer l’hypercentralité – une manie française – qui étouffe Paris au sein même de sa propre région, elle-même surpeuplée quand des régions entières de France sont sous-peuplées.
En revanche, la débauche d’originalité, de moyens et de « gestes » architecturaux renvoie une fois de plus au sort du reste de la France (82 % de la population), dont les réseaux ferrés régionaux continuent de se rétracter, les gares de fermer, les services express métropolitains reportés de mois en mois et réduits parfois à des bus supposément « à haut niveau de service » ou à des pistes cyclables (Montpellier). Signe du dédain dans lequel le tiennent les élites du régime qui s'énivrent de démesures à l'échelle de Versailles au Grand siècle.
- - - - -
Pour mesurer l'ampleur des travaux on peut se référer à:
Vidéo résumant la construction de la gare de Villejuif Gustave-Roussy. (Doc SGP)