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24 mai 2025

 La montée des dangers militaires en Europe bouleverse l’architecture de défense des pays occidentaux. Elle induit une remontée des dépenses publiques dans l’armement. La France est prête à se rallier à l’objectif de 3,5 % du PIB en dépenses militaires pures d’ici 2032 contre 2 % actuellement. L’objectif de 3 % à 3,5 % permet d’assurer un budget militaire entre 90 et 100 milliards d’euros annuellement. Mais des dépenses de sécurité plus larges doivent aussi être assurées, a demandé le secrétaire général de l’OTAN, parmi lesquelles ces dépenses en infrastructures hybrides, d’intérêt civil comme militaire. Parmi elles, les infrastructures de transport, comme le souligne le député et ancien ministre Jean-Louis Thiériot.

 Raildusud a récemment traité la question des itinéraires potentiellement stratégiques au plan militaire dans le grand Sud-Est. La Transalpine, qui réunit les élus soutenant la future liaison Lyon-Turin mixte fret-TGV et le percement, en cours, du tunnel de base du mont d’Ambin, avait fait valoir la dimension majeure de cette future liaison ferroviaire en terme militaires. Nous avions souligné en revanche à quel point le démaillage en France du réseau ferré classique, dans des proportions uniques en Europe (de 50.000 km à 25.000 km environ, auxquels il convient d’ajouter 3.000 km de lignes nouvelles) présentait un danger pour une logistique de conflit de haute intensité.

Jean-Louis Thiériot demande des « voies alternatives »

 Dans un long entretien publié par Le Figaro le 21 mai, Jean-Louis Thiériot, ancien ministre délégué aux Armées et aux Anciens combattants, actuellement député (LR) de Seine-et-Marne et membre de la Commission de la défense nationale et des forces armées à l’Assemblée nationale, a confirmé cette faiblesse et la nécessité de la compenser.

Il explique : « L’Europe a renoncé à entretenir un certain nombre de voies stratégiques. Il faut donc renforcer les ponts pour qu’un char de 50 tonnes puisse passer, prévoir des voies alternatives si un pont tombe, entretenir les voies de chemin de fer secondaire, qui aujourd’hui sont quasiment tombées en déshérence, y compris en France, mais aussi des infrastructures portuaires ».

Sur l'ancienne ligne Montpellier-Faugères (Bédarieux-Mazamet-Toulouse), remarquable itinéraire alternatif à la ligne de la plaine du Languedoc tout en désenclavant des zones difficiles d'accès, la gare de jonction de Paulhan est ici vue côté voies. Le sacrifice de ces lignes dites secondaires affaiblit la robustesse de l'ensemble du réseau ferré. (Cl. RDS)

 La mention « y compris en France » est généreuse, au vu du taux de liquidation du réseau et de sa concentration massive sur un système dit « structurant » principalement radial, centré sur l’Ile-de-France. Il ne fait guère de doute qu’en matière de géographie ferroviaire, la France présente la configuration parmi les plus risquées d’Europe, en particulier par manque évident de transversales dans sa moitié méridionale.

 A ce jour, les deux grandes menaces conflictuelles se présentent par l’est – la tentative de conquête russe de l’Ukraine et sa soumission par la force -, et par le sud – la tension avec l’Algérie et, derrière elle, de puissants alliés parmi lesquels, potentiellement, la Russie. Or en matière de flux ferroviaires militaires, les deux menaces induisent des besoins ouest-est autant que nord-sud.

La barrière du Massif central aggravée par le démaillage

 Si la future liaison transalpine offre un potentiel important ouest-est, elle se heurte à une forte attrition des liaisons à travers la barrière du Massif central à l’ouest de Lyon, aggravée par le démaillage.

 L’interruption malheureuse de la liaison Clermont-Ferrand-Saint-Etienne entre Boën et Thiers sur 47 km, alors qu’elle doublait l’axe via Roanne, en est l’une des plus aveuglantes illustrations. Il en va de même pour la poursuite de cet axe à l’ouest de Clermont-Ferrand, jusqu’à Ussel et Brive, interrompu entre Laqueuille et Ussel sur 40 km.

 A l’ouest de Saint-Etienne, la suppression de la ligne Le Puy-Langogne (53 km) complexifie singulièrement les liaisons ferrées entre le bassin lyonnais et stéphanois et le Midi.

Ne demeurent plus, pour relier la façade atlantique et l’axe rhodanien, que les contournements par le nord (fragile ligne Saint-Germain-des-Fossés-Montluçon-Saint-Sulpice-Laurière) et par le sud (grande ligne Tarascon-Narbonne-Toulouse). La liaison Clermont-Ferrand-Toulouse par Aurillac permet une liaison alternative, mais d’un axe très décalé par rapport à un besoin ouest-est. L’itinéraire central Lyon-Toulouse par Mende et Rodez est devenue impossible en raison de la neutralisation de Séverac-le-Château-Rodez (44 km). Un itinéraire Lyon-Saint-Etienne-Arvant-Aurillac-Brive-Périgueux-Bordeaux, est fragilisé par son maillon le plus faible : la section Le Puy-Saint-Georges-d’Aurac (52 km), régulièrement menacée de fermeture.

Voies terminus de la ligne Saint-Etienne - Clermont-Ferrand à Boën (Loire). Cet itinéraire, le plus court entre les deux métropoles, permettait de doubler l'itinéraire Lyon-Roanne-Clermont-Ferrand. Boën, comme Thiers, est devenu le terminus d'une antenne excluant tout transit. Et plusieurs gares ou embranchement fret (ici celui d'une usine de roulements à bille) ont été sacrifiés. (Cl. RDS)

 En Nouvelle-Aquitaine, la suppression des sections Sarlat-Souillac (23 km) et Souillac-Saint-Denis-près-Martel (19 km) prive l’axe Bordeaux-Lyon d’un utile doublement contournant Brive par le sud.

 La Massif central constitue, sur un gros tiers sud de la France, un obstacle aux liaisons ouest-est. Dans cette vaste région, les lignes transversales de chemin de fer ont été construites à voie unique. Et c’est pourtant elles qui ont subi le plus de coupes sous prétexte d’économies de gestion par une technocratie jacobine aveugle aux besoins des populations et, à long terme, aux intérêts stratégiques du pays.

 On remarque que les sections neutralisées, qui condamnent de très longs itinéraires, sont toutes courtes, inférieures à une cinquantaine de kilomètres, ce qui donne une idée du rapport accablant entre l’économie réalisée et la perte potentiel de trafic et d’intérêt stratégique.

Plus aucun détournement sur la façade méditerranéenne

 Si l’on se tourne vers le sud et les menaces venues de la Méditerranée, on ne peut que s’inquiéter de l’absence totale d’itinéraires de détournement tant côté Provence que côté Languedoc. Côté Provence, le contournement nord de Marseille est désormais impossible, soit Avignon-Cavaillon-Pertuis/Rognac-Aix-Gardanne-Carnoules en raison de l’abandon de la section Gardanne-Carnoules (79 km) et de la neutralisation de Rognac-Aix (25 km). A première était pourtant classée stratégique jusqu’à récemment.

 Une interruption par frappes de missiles de la ligne Marseille-Nice entre Marseille et Toulon rendrait impossible ou très difficile tout échange ferroviaire entre la vallée du Rhône, Nice et la Ligurie. La création de la transversale souterraine dans Marseille ne serait à ce titre qu’un pis-aller, en attendant l’hypothétique ligne nouvelle Marseille-Toulon par l’intérieur, qui resterait exposée à la sortie est de Marseille.

Ce qui restait voici quelques années du plan de voies de la gare de Brignoles sur la rocade Gardanne-Carnoules. Que le trafic soit interrompu à Marseille ou alentours sur la ligne Marseille-Nice, plus aucun train ne peut rejoindre l'au-delà de Toulon. (Doc. Wikipedia Fr. Latreille)

 A l’est de Carnoules, aucune ligne alternative du réseau ferré national n’a jamais existé. Seules existaient les lignes à voie métrique du Sud France, de Meyrargues à Nice par le centre du Var et de Toulon à Saint-Raphaël par la côte, ce qui n’aurait guère résolu le problème d’une interruption…

 Côté Languedoc, la suppression de toutes les lignes alternatives par l’intérieur, que ce soit Alès/Nîmes-Sommières-Montpellier ou Montpellier-Paulhan-Bédarieux-Mazamet-Toulouse, toutes fermées, laissent sans solution une interruption du doublet Nîmes-Montpellier ou de la ligne unique Montpellier-Narbonne-Toulouse.

 Cette façade méditerranéenne, à quelque 800 km de l’Ile-de-France, constitue donc en matière ferroviaire un grave point faible de l’équipement français.

L’axe rhodanien nord-sud, robuste mais très concentré

 Terminons avec l’axe stratégique rhodanien nord-sud. Au sud de Lyon le triplet de lignes constitué par les axes Lyon-Givors-Avignon/Grézan, Lyon-Valence-Avignon-Marseille et les LGV Rhône-Alpes et Méditerranée forment une solution particulièrement robuste. Pour autant, leur proximité constitue une fragilité. Une frappe dévastatrice sur Avignon, où ils se rassemblent, bloquerait leurs flux.

 Seules la compensent, à l’est, la ligne Lyon-Grenoble-Veynes-Marseille, dont les menaces de fermeture ont été récurrentes sur la partie haute de Grenoble-Veynes et, à l’ouest, l’axe Clermont-Ferrand-Alès-Nîmes, lui aussi régulièrement menacé de tronçonnage en sa partie centrale. Les neutralisations de sections de lignes peu utilisées, débouchant sur le seul maintien d’antennes plus ou moins agonisantes, constitue l’une des pires pathologies de la gestion de son réseau par l’Etat français.

Gare de Lus-la-Croix-Haute, sur la partie sommitale et la plus dégradée de la ligne reliant Grenoble à Veynes et, en-deçà et au-delà, Lyon à Marseille par Grenoble et Sisteron. On remarque l'état de la plate-forme et de la voie. Seuls les TER Grenoble-Gap l'empruntent désormais. (Cl. RDS)

La pression de l’institution militaire et des législateurs concernés par cette question, tels le député Jean-Louis Thiériot, suffira-t-elle à renverser le mouvement mortifère du démaillage du réseau ferré français ? M. Thiériot insiste : « Il ne faut jamais oublier une chose : une bonne partie des guerres aujourd’hui sont gagnées grâce à la logistique ». Il cite à titre d’exemple l’importance d’un oléoduc qui approvisionnerait en kérosène l’est de l’Europe, qui remplacerait une noria « de 200 ou 300 camions » entre Le Havre et Varsovie.

 « Mieux vaut avoir des investissements en capital et en infrastructures que d’avoir des camions qui ne servent qu’en cas de crise », poursuit l’ancien ministre. Car les infrastructures, en particulier ferroviaires, revêtent en tout temps un intérêt civil, si tant est qu’elles soient correctement exploitées.

Tag(s) : #Trains, #défense
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